Un peu d'histoire

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Introduction

C'est pendant son premier séjour aux Etats-Unis, à New York, 4 Battery Place, et à Boston, 34 St James avenue, où il fut d'abord vice-consul du 2 avril au 1er décembre 1893, avant de prendre la direction du consulat du 2 décembre 1893 au 15 février 1895, que Claudel écrivit cette première version de l'Echange. Elle fut publiée pour la première fois en 1900 dans une revue symboliste, L'Ermitage, puis en 1901 dans L'Arbre, à la Société du Mercure de France, avec 3 pièces écrites peu avant, Tête d'Or, La Ville, et La Jeune Fille Violaine. Elle fut montée pour la première fois par Jean Copeau en 1914 au théâtre du Vieux Colombier. (Copeau y jouait le rôle de Thomas Pollock Nageoire). Claudel disait qu'  « en art, rien n'est définitif », et ainsi lorsqu'en 195O, Jean Louis Barrault décida de mettre en scène la pièce, Claudel, qui n'était guère satisfait de cette « première ébauche de jeunesse », réécrivit la pièce presque entièrement.

C'est cette seconde version, laborieux compromis entre les requêtes du metteur en scène et celles d'un dramaturge de 80 ans, qui fut donnée au théâtre Marigny en 1951. Après des débuts assez modestes, ce fut finalement un grand succès.

Depuis, on produit les deux versions en France comme dans les autres pays francophones, avec une légère préférence pour la seconde, même s'il nous semble que seule la fin du deuxième acte soit en vérité supérieure à la première version. Le style de la seconde version est plus libre, plus familier; elle donne plus d'importance à la liturgie de l'argent, et les indications de décor sont lourdes de symbolisme.

Nous avons choisi de jouer la première version&emdash;la version américaine, qui fut achevée par Claudel à Boston en mars 1894. Plus libre, plus passionnée, c'est en effet l'Ïuvre d'un jeune homme de 25 ans qui rongeait son frein à Paris où il faisait alors ses premiers pas sur la scène diplomatique en tant qu'aspirant consul, et n'avait qu'un souhait, celui de découvrir cette ville formidable qu'est New York, de « vivre la poésie », et, d'un point de vue plus prosaïque, d'étudier le capitalisme américain. (Il avait fait ses premières armes au ministère des affaires étrangères dans le département du commerce). Là bas, l'atmosphère commerciale des environs du consulat l'incita à commencer sur l'heure cette nouvelle pièce qu'il appela« le nouveau guignol », puis « la dramaturgie de l'or ». Pour écrire cette pièce le matin, une heure et demi avant de commencer son travail au consulat, ou durant l'absence de son supérieur, il utilisa bien sûr ce qu'il voyait, vivait, entendait et ressentait. L'Echange se nourrit de la traversée de l'Atlantique sous la pluie, la pluie de Nouvelle Angleterre (notons qu'il pleut sept fois dans l'Echange), le sentiment d'exil, l'ennui, l'atmosphère puritaine, le catholicisme privé de cérémonial à l'église (en contraste avec les chants grégoriens de Paris), l'« American way of life », son environnement new-yorkais (c'est sur une affiche qu'il vit le nom de Thomas Pollock Fin, et décida d'utiliser la traduction française de Fin&emdash;Nageoire&emdash;à laquelle il trouvait plus d'harmonie sonore), les nuits étoilées de Boston, mais aussi la compagnie d'un Français, Christian de Larapidie, égaré au consulat. Ce dernier avait une personnalité haute en couleur ; plus âgé que Claudel, c'était un professeur de violon amical et plein d'enthousiasme qui arrondissait les fins de mois en donnant des cours particuliers mal payés. Claudel partageait sa chambre dans une pension new-yorkaise (à Boston ils vivaient au Consulat, cuisinaient tous deux, et partaient pour de longues promenades dans les forêts du Massachusetts), et il servit en partie de modèle pour Louis Laine. Pour reprendre l'expression de son auteur, l'Echange est une Ïuvre d'assimilation, écrite avec souffrance et intérêt. (Mémoires improvisés).

Mais les lectures de Claudel nourrirent également la pièce. Eschyle, tout d'abord, l'influença grandement, comme on le voit déjà dans Tête d'Or. Pendant qu'il écrivait l'Echange, il travaillait encore à la traduction d'Agamemnon, commencée en 1891. Lechy (une nouvelle Cassandre), le décor investi par la nuit, les longues stances, la confrontation entre deux personnages. Shakespeare est une autre influence notable; Claudel avait lu son Ïuvre en intégralité (« lorsque je suis tout seul, je me plonge tout d'abord dans Shakespeare »), et lui emprunte le personnage de l'homme brutal, de même que Lechy est la figure traditionnelle de la prostituée dans le théâtre élisabéthain. Rimbaud, le rêveur, le paresseux, semble prêter son physique à Louis. Claudel, qui avait lu ses Illuminations avec admiration, admit lui-même la grande influence du poète sur son personnage. Par ailleurs, la mort de Louis au crépuscule rappelle le poème de Whitman intitulé « Twilight ». On peut également citer Tocqueville et De la démocratie en Amérique où Claudel lut avec attention les pages traitant des Indiens (leur paresse, leur amour des grands espacesâ..). Les travaux de l'ethnologue Charles G. Leland sur les bohémiens et les légendes d'Algonquin purent inspirer les personnages de Lechy et de Louis. Enfin le roman de Thomas Hardy, The Mayor of Casterbridge, publié en 1886, raconte l'histoire d'un fermier qui vend sa femme, comme Louis vend Marthe à Thomas. On peut qualifier l'Echange de pièce classique dans la mesure où elle respecte les unités de temps, de lieu et d'action. Mais c'est aussi une pièce moderne parce que Claudel mit un peu de lui-même dans chacun des personnages, ainsi qu'il le confia plus tard à Jean Amrouche. En particulier, dans ce « quatuor américain », chacun tient successivement le rôle de l'autre. Néanmoins, le personnage principal reste Louis Laine (dont les metteurs en scène semblent oublier qu'il a du sang indien). Pour Claudel, Louis représente une race condamnée. Jeune et bien fait, il fait l'objet du désir des trois autres. Mais il est trop fragile (il a été traité rudement par son père, et a perdu sa mère étant enfant&emdash;Marthe et Lechy sont des substituts maternels), et se voit incapable de leur donner ce qu'ils lui demandent, pour finalement être condamné par eux. L'Echange est donc un drame de l'impuissance qui donne simultanément naissance, au bord de la mer, à des études de personnage, au bruit et à la fureur. L'impuissance envers les femmes était peut être celle de Claudel à l'époque, avant l'ouragan sensuel de 1900, que le dramaturge transposa en 1905 dans son Partage de Midi. Il n'en reste pas moins que l'Echange, même si elle fascine, est une pièce obscure. L'action ne nous révèle en rien le sens de la pièce; la conclusion ne se trouve pas dans le dénouement. On n'épuise pas le sens à multiplier les lectures. Cette pièce symboliste (qui se passe en plein air du début à la fin), bien que basée sur des événements contemporains et réels, est en fait une pièce sur l'inconscient, et, comme nous l'avons dit, sur l'inconscient du jeune Claudel. Il ne peut montrer ce qu'il veut dire, mais il peut le représenter grâce à cette double image de la femme, qui est à la fois voix du péché et voix de la grâce. On comprend mieux alors pourquoi il accumule les symboles, et souligne les correspondances entre la nature et les êtres, comme par exemple le pressentiment de Louis qu'il va mourir au coucher du soleil. Marthe, elle aussi, n'a-t-elle pas eu un pressentiment depuis ce jour du solstice d'été, dont elle parle dans le premier vers de la pièce ? (Dans la seconde version, c'est Louis qui prononce ces mots). « La journée qu'on voit clair et qui dure jusqu'à ce qu'elle soit finie ! » Les images soulignent l'obscurité, en particulier les histoires qui semblent n'avoir qu'une vague relation avec l'intrigue, mais qui la reflètent en fait et la déterminent de différentes manières: la scène de la vieille femme sous la vague&emdash;l'image de la femme castratrice, l'histoire de l'Enfant aux Sourcils de Pierre&emdash;le drame signifié de Marthe). L'obscurité vient également de la quête de la musique dans les vers, de l'émotion qui sacrifie le sens au son... Mais la pièce garde une étrange beauté de par les multiples identifications qu'elle permet; qui n'est pas amoureux de l'un ou l'autre des personnages ? L'Echange est tout cela à la fois, un drama, un psychodrame, une parabole, et une pure pièce de musique. Alors qu'il écrivait pour la première fois une pièce loin de sa terre natale, Claudel put parfaire sa technique tout en découvrant différents aspects de sa propre personnalité. La pièce nous révèle un Claudel insoupçonné dans ses désirs et ses relations, un Claudel fragile et aisément influençable? L'écriture en exil aux Etats-Unis, qui jouent un rôle de catalyseur, l'a préparé pour la confrontation avec d'autres pays. « La séparation a eu lieu, et l'exil où il est entré le suit ». (Connaissance de l'Est). C'est lui qui demanda à quitter les Etats-Unis en 1895, et en emporta une image aussi incomplète que biaisée. Il rentra à Paris, ramenant avec lui une révision du premier acte de La Ville, la seconde version de Tête d'or, sa traduction complète d'Agamemnon, et surtout cette nouvelle pièce, qu'il était décidé à voir jouée. Quatre mois plus tard, il partait pour son poste à Shanghai.

 

Jouer l'Echange

Mais comment doit-on jouer l'Echange? Dans une lettre de 1913 à Jacques Copeau, Claudel propose deux manières différentes: un jeu délicat, gris, harmonieux, comme de la musique de chambre, ou un jeu violent et coloré, excessif, presque caricatural, comme une toile de Van Dongen. Lui-même penchait plutôt pour la seconde suggestion, et il parvint à imposer son opinion auprès de Copeau. Le public de 1914 trouva le texte très beau mais n'accueillit pas la production avec chaleur. De nos jours, notre imagination est toujours mise à l'épreuve par ce choix fondamental.

Traduit de Jean Pierre Krémer

Paul Claudel The Trade

Les Editions Albion Press, 1995, Canada

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