Antoine BERMAN, La Traduction et la lettre ou l'auberge du lointain (Editions du Seuil, 1999)
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Quelques citations
"La traduction ne se voit pas, comme l'uvre littéraire, plongée pour sinsi dire dans l'intérieur du massif forestier de la langue, mais en dehors de celui-ci, face à lui, et sans y pénétrer, elle appelle l'original en cet unique lieu où, à chaque fois, l'écho dans sa propre langue peut rendre la résonance d'une uvre de la langue étrangère." (Walter Benjamin)
"La traducution ouvre la fenêtre afin de laisser entrer le jour, brise la coquille pour qu'on puisse goûter le fruit, écarte le rideau afin qu'on puisse plonger le regard dans l'endroit le plus saint, repousse le couvercle du puits afin qu'on puisse atteindre l'eau, tout comme Jacob repoussa la pierre qui obstruait le puits afin d'abreuver les moutons de Laban."
(Les traducteurs [anglais] de la Bible du Roi Jacques)
Mais le Père aime, le
Maître du Monde, avant toute chose,
Que la lettre en sa fermeté soit maintenue
Avec soin.
(Hölderlin)
Quelques notions
"traduction littérale", traduction de la "lettre" traduction mot à mot, traducción servil
traduire la "lettre" d'un texte re revient aucunement à faire du mot à mot
proverbes: trouver un équivalent?
allemand: "L'heure du matin a de l'or dans la bouche"
français: "Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt"
anglais: "The early bird gets the worm"
traduire aussi le rythme, la longueur (ou concision), les allitérations, etc.
"A cada día le basta su pena, a cada año su daño" Chercher un équivalent? ou traduire? par ex.:
"A chaque jour suffit sa peine, à chaque année sa déveine"
travail sur la lettre: ni calque, ni (problématique) réproduction, mais attention portée au jeu des signifiants
chercher des équivalents, c'est poser un sens invariant, une idéalité qui s'exprimerait dans les différents proverbes de langue à langue, c'est refuser d'introduire dans la langue traduisante l'étrangeté du proverbe original, c'est refuser de faire de la langue traduisante "l'auberge du lointain", c'est le franciser
pour le traducteur formé à cette école, la traduction est une transmission de sens qui, en même temps, est tenue de rendre ce sens plus clair, de le nettoyer des obscurités inhérentes à l'étrangeté de la langue étrangère
Expérience et réflexion sur la traduction, la "traductologie" la traductique
la traductologie est la réflexion de la traduction sur elle-même à partir de la nature de son expérience, une pensée-de-la-traduction
la traduction peut se passer de théorie, non de pensée, pensée qui s'effectue dans un horizon philosophique
la traduction signifie non seulement le "passage" interlangues d'un texte mais&emdash;autour de ce premier "passage"&emdash;toute une série d'autres "passages" qui concernent l'acte d'écrire et, plus secrètement encore, l'acte de vivre et de mourir.
"Aujourd'hui, j'ai envie que Rilke parle à travers moi. Dans le langage courant, cela s'appelle traduire. (Comme c'est mieux en allemand: Nachdichten! Tout en suivant la trace d'un poète, frayer encore une fois la route qu'il a déjà frayée. Soit pour Nach [après], mais il y a dichten, le toujours nouveau. Nachdichten, c'est refrayer la voie sur les traces que l'herbe envahit dans l'instant.) Mais la traduction signifie aussi autre chose. On ne fait pas seulement passer une langue dans une autre langue (le russe par exemple), on passe aussi la rivière. Je fais passer Rilke en langue russe, tout comme il me fera un jour passer dans l'autre monde. (Marina Tsvétaïeva, dans Rilke, Pasternak, Tsvétaïeva, Correspondance à trois: été 1926)
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