Nicolas de Cues et Euclide

Jean-Marie Nicolle

 

Introduction : Le projet de Nicolas de Cues (1401-1464)

Lorsqu’elle se met à enquêter sur des objets métaphysiques comme Dieu ou l’infini, la raison tombe sur des antinomies qui l’empêchent d’aller plus loin ; elle refuse d’outrepasser son principe logique de non-contradiction. Pour qu’il y ait progrès dans la connaissance métaphysique, il faut que la raison discursive s’efface et accepte une rupture de l’intelligence avec la logique. En Dieu, les contraires sont réunis. Dieu échappe aux principes de la logique qui, s’ils sont contraignants pour la raison, ne le sont plus pour l’intelligence. L’intelligence admet la compatibilité des contraires, grâce à la coïncidence des opposés. Cette coïncidence des opposés est bien autre chose qu’une simple concession ; c’est véritablement un postulat fondamental. C’est grâce à l’union des contraires que l’intelligence va pouvoir comprendre les choses.

Mais ne pourrait-on pas avoir une petite idée de cette connaissance obtenue par l’intelligence ? C’est à cet endroit précis de son système qu’interviennent les mathématiques. N. de Cues observe que les mathématiques, sciences rigoureuses qu’on ne peut suspecter d’irrationalisme, connaissent elles-mêmes une transmutation de leurs lois lorsqu’elles abordent l’infini. Tant que l’on demeure dans le domaine des figures finies, les mathématiques sont rationnelles et s’appuient sur le principe de non-contradiction ; dès que l’on infinitise les figures, les mathématiques deviennent intellectuelles et sont amenées à pratiquer la coïncidence des opposés.

Le problème le plus indiqué pour mettre à l’épreuve la coïncidence des opposés sera celui de la quadrature du cercle, puisqu’il s’agit de faire coïncider deux figures opposées, un cercle et un carré.

(ceux) qui ont cherché la quadrature du cercle ont présupposé la coïncidence du cercle et du carré dans l’égalité, laquelle n’est assurément pas possible au niveau sensible. Car il n’existe pas de carré qui ne soit inégal à n’importe quel cercle engagé dans la matière. Cette égalité, qu’ils ont présupposée, ils ne l’ont donc pas vue avec leurs yeux physiques, mais avec leurs yeux mentaux, et s’ils ont essayé de la démontrer par le raisonnement, ils ont cependant échoué, puisque la raison n’admet pas la coïncidence des opposés. C’est intellectuellement qu’ils auraient dû chercher la coïncidence dans ce cercle qui est égal dans chaque polygone (1).

L’objectif de Nicolas de Cues, dans ses textes mathématiques, consiste tout simplement à réussir la quadrature du cercle en utilisant le principe de la coïncidence des opposés, et à démontrer ainsi la fécondité de ce principe. Il se lance dans cette aventure intellectuelle à partir de 1445. Pendant quatorze ans, au long d’une douzaine de traités, il va persévérer dans sa recherche d’une quadrature du cercle.

Il est bien difficile de reconstituer avec exactitude ce que N. de  Cues a lu, sur quels ouvrages il a travaillé, car s’il semble bien établi qu’il n’a pas connu la traduction d’Archimède de Jacob de Crémone avant 1453, et qu’il n’a pas étudié Archimède directement dans la traduction de Moerbeke, il n’est pas clairement démontré quelles étaient ses sources intermédiaires. Par exemple, les sources arabes sont des plus discrètes. On trouve bien quelques titres dans l’inventaire que J. Marx a réalisé pour la bibliothèque de Kues, mais rien n’indique que le Cusain en ait effectivement pris connaissance. Il n’y a, dans les oeuvres mathématiques, aucune référence explicite aux arabes, pas même à Al Kwarizmi. On ne trouve pas non plus de textes mathématiques en hébreu. Les sources mathématiques médiévales de N. de Cues sont latines. Hofmann (2) cite indifféremment Thomas Bradwardine et Campanus de Novare car les textes sont très proches.

1 - Euclide

Il semble que N. de  Cues n’ait pris connaissance de l’oeuvre d’Euclide qu’à travers des présentations scolaires et simplifiées de ses Eléments. Hofmann parle du commentaire d’Euclide par Campanus de Novare et de la Géométrie spéculative de Bradwardine. La plupart des références à Euclide sont relatives au Livre VI des Eléments. La proposition VI, 9, (3) est invoquée six fois pour la recherche d’une moyenne géométrique entre deux segments, notamment entre le demi-diamètre et la demi-circonférence du cercle.

Les Transmutations géométriques (1445) ne citent pas Euclide, mais on peut y repérer la trace de la proposition 12 du Livre VI : Trois droites étant données, trouver une quatrième proportionnelle (4).

C’est à partir de la seconde quadrature, De Quadratura circuli (1450), que l’on trouve les références explicites à Euclide (on en competra onze) :

Euclide a montré qu’il est possible aussi de construire une proportion facile entre le demi-diamètre et la demi-circonférence (5).

...alors 92 est égale à po, comme on sait d’après Euclide 37 du Livre I, et 4 du livre VI (6).

...su la moyenne géométrique entre rs et sx. D’après VI, 9, suz2 le carré qui est de même surface que le cercle de demi-diamètre rq (7).

Dans sa lettre à N. de  Cues, De quadratura circuli, Magister Paulus ad Nicolaum Cusanum, Toscanelli se sert de la proposition I du Livre VI des Eléments en écrivant : telle est la ligne cd à la ligne cf. En effet, par la première proposition du livre VI d’Euclide, les dites surfaces sont de même hauteur, donc leurs bases sont proportionnelles (8).

A partir des Compléments mathématiques (1453), et excepté pour une référence à la proposition 12 du Livre IV, la seule et unique utilisation d’Euclide qui reviendra cinq fois encore (9), sera la neuvième proposition du Livre VI, comme si N. de  Cues ne connaissait plus rien d’autre des Eléments. On peut expliquer cet appauvrissement par l’hypothèse selon laquelle son souci principal est devenu la recherche d’une juste proportion entre un polygone et un cercle. La nouvelle traduction d’Archimède devait alors lui servir davantage que la lecture d’Euclide.

Références aux Eléments d’Euclide

De Transmutationibus geometricis

 

VI, 13 et VI, 12

De Quadratura circuli

Bâle, pp. 1093, 1093, 1091 et 1094

I, 37, VI, 4 et VI, 13 (2fois)

De quadratura circuli (Magister Paulus ad Nicolaum Cusanum)

Bâle, p.1099

VI, 1

De Mathematicis complementis

Bâle, pp. 1005, 1016 et 1024

IV, 12 et VI, 13 (2 fois)

De Una recti curvique mensura

Bâle, p. 1106

VI, 13

De sinibus et chordis

Bâle, p. 1098

VI, 13

De caesarea circuli quadratura

 

VI, 13

 

2. Campanus de Novare

Les oeuvres de Campanus de Novare - on compte plus de 30 titres répertoriés - étant très dispersées et difficiles d’accès, mes recherches sur cette source sont très modestes. D’autre part, les indications données par Hofmann doublent toujours la référence à Campanus par la référence équivalente à Bradwardine (qui, lui-même, cite Campanus) ; les deux textes sont très proches. Les références à Campanus (10) indiquées par Hofmann (d’après la numérotation de Campanus) sont :

dans De Transmutationibus geometricis :

la proportion de la demi-corde élevée sur le diamètre du cercle : Eléments, VI, 9

la recherche d’une quatrième proportionnelle à partir de trois données : Eléments, VI, 10

la conversion des surfaces rectilignes en surfaces circulaires : Eléments, VI, 25

dans le De circuli Quadratura :

l’axiome : où on peut donner un plus grand et un plus petit, on peut aussi donner un égal : Eléments, III, 15

l’incommensurabilité de la diagonale et du côté d’un carré : Eléments, X, 7

dans le De Quadratura Circuli :

la proportion entre le demi-diamètre et la demi-circonférence d’un cercle : Eléments, VI, 9

D’après ces références, il semble qu’il y a une assez forte probabilité pour que N. de Cues ait travaillé le commentaire d’Euclide par Campanus, mais on dispose de peu d’indices précis sur ce travail.

 

3. Bradwardine

L’influence de Bradwardine sur N. de Cues est plus nette et se repère d’abord par une parenté lexicale. La question de l’irrationalité de p est évoquée dans les mêmes termes par les deux auteurs. N. de Cues connaît bien le problème. Il rapproche le problème de l’irrationalité de p de l’incommensurabilité de la diagonale et du côté du carré : Parmi les lignes non-proportionnelles, certaines se tiennent comme le côté et la diagonale, et on ne peut jamais trouver une proportion si exacte que l’excès ne soit plus grand qu’une partie aliquote (11). Bradwardine (12) pose comme conclusion : Il est évident qu’une ligne moyenne en proportion entre le côté et le diamètre leur est incommensurable à la fois en longueur et en puissance (13).

Au passage, on peut relever que N. de  Cues emprunte à Bradwardine l’appellation " diamètre " pour la diagonale (14), suivant une étymologie inexacte que celui-ci donne dans sa Geometria speculativa, 2.1.8. : Deux triangles quelconques, pris de part et d’autre d’une ligne diagonale sur une surface quadrangulaire dont les côtés sont parallèles, sont égaux. Et on appelle diamètre une ligne diagonale qui est menée d’un angle à l’angle opposé, et si c’est un carré (15).

Pour la recherche d’une moyenne proportionnelle, on trouve une même idée illustrée par la même figure à propos de la proportion entre le diamètre d’un cercle et une demi-corde qui le coupe à angle droit. Le passage se trouve chez N. de  Cues dans les Transmutations géométriques : On sait depuis longtemps que, si deux lignes données sont jointes pour faire le diamètre d’un cercle et qu’une corde les coupe à angle droit, alors la demi-corde est la moyenne entre ces proportionnelles puisqu’il est nécessaire que la demi-corde soit la moyenne entre la flèche et le reste du diamètre (16).

On trouve la même idée chez Bradwardine : 3.4.4. La quatrième conclusion sera de trouver géométriquement une moyenne proportionnelle entre deux lignes quelconques, que leur proportion soit connue ou non : deux lignes droites étant données qui sont jointes directement en une ligne droite, si on décrit un demi-cercle sur toute la ligne ainsi composée et agrégée des deux, la ligne qui s’élève perpendiculairement de la limite commune aux deux lignes jointes jusqu’à la circonférence sera la moyenne entre les lignes données selon une proportionnalité continue. Suit une construction, puis : Ceci réclame une démonstration trop étendue, et, aussi, l’autorité d’Euclide nous suffit, puisque cette proposition est la neuvième conclusion du Livre VI de sa géométrie (17). Et l’idée est, brièvement, que toute ligne dans un cercle qui s’élève du diamètre à la circonférence et se tient perpendiculairement au diamètre, le coupe en deux parties entre lesquelles elle est une moyenne selon la proportionnalité continue. Pour l’instant, que ce soit assez de la foi en l’autorité (18).

Les autres emprunts de N. de Cues à Bradwardine concernent plutôt des acquis d’Archimède. Ainsi, le rectangle obtenu par le produit du demi-diamètre et de la demi-circonférence du cercle est aussi une référence commune (19) ; par exemple, Nicolas de Cues écrit dans les Compléments mathématiques que le rectangle issu de la multiplication du demi-diamètre par la demi-circonférence du cercle n’est ni plus grand ni plus petit que l’aire du cercle (20). Ce passage est déjà chez Bradwardine (3.6.5.) qui se réfère à Archimède : Je suppose une proposition de la Mesure du cercle d’Archimède et ce me sera un postulat puisque la démontrer requerrait un plus grand traité que ne l’est tout ce travail. Et la voici : tout cercle est égal à un triangle rectangle dont un des deux côtés attenant à l’angle droit est égal à la moitié du diamètre du cercle et l’autre de ces lignes attenantes est égale au cercle (21).

Que peut-on conclure de toutes ces ressemblances ? - Il est évident que N. de  Cues a lu la géométrie de Bradwardine. L’utilisation du mot " diamètre " pour désigner la diagonale d’un carré est un indice assez frappant. N. de  Cues n’aurait-il tiré de sa lecture de Bradwardine que ce qu’il pouvait trouver dans un bon manuel de mathématiques, par exemple dans un manuel de Jean de Murs ?

4. Jean de Murs

Jean de Murs vivait au XIVème s., à la Sorbonne. Il connaissait bien les livres arithmétiques d’Euclide. Hofmann ne dit rien à son propos, mais Marshall Clagett (22) a repéré des emprunts que N. de Cues aurait fait au De arte mensurandi composé vers 1343 par Jean de Murs, en même temps que la seconde partie du Quadripartitum numerorum (car la première partie ne serait pas de lui). C’est par la lecture du De arte mensurandi que le Cusain aurait appris le raisonnement archimédien et les principales propositions sur la mesure du cercle (et non par la traduction de G. de Moerbeke qu’il ne semble pas avoir connue). La lecture du Quadripartitum numerorum lui a peut-être fourni aussi quelques éléments sur le calcul des proportionnelles.

Quelles leçons peut-on tirer de cette enquête ? N. de Cues ne semble pas avoir étudié directement le texte d’Euclide, mais seulement des ouvrages de vulgarisation. Il est incontestable qu’une telle pratique ne pouvait qu’hypothéquer gravement la valeur de ses démonstrations. Ensuite, quelques approximations et des erreurs de lecture trahissent la fragilité de la formation scientifique de N. de  Cues. Enfin, les sources de N. de  Cues évoluent assez vite dans le temps : Euclide, peu cité, ne l’est finalement toujours que pour VI, 13. Campanus semble n’avoir été consulté que jusqu’à 1450. Archimède est connu à travers Bradwardine, mais la nouvelle traduction de Jacob de Crémone semble avoir été une révélation pour N. de  Cues. On voit par là que c’est un esprit curieux, soucieux de bien s’informer, de compléter une formation au départ trop fragile. Ce n’est pas un dilettante.

5. L’échec de la méthode des isopérimètres

Parmi les diverses méthodes auxquelles il s’essaie, la plus révélatrice est la méthode des isopérimètres. Partant d’un triangle équilatéral, pris comme polygone régulier le plus simple, il augmente progressivement le nombre de côtés des autres polygones réguliers isopérimétriques - de périmètres égaux -, passant au carré, au pentagone, à l’hexagone, etc., jusqu’au cercle, pour en chercher le rayon. Il trace pour chaque polygone son cercle inscrit et son cercle circonscrit. Le principe de la démonstration est le suivant : dans les polygones réguliers et isopérimétriques, variant du triangle au carré, etc. jusqu’au cercle, la différence de surface entre le cercle inscrit et le cercle circonscrit est extrême dans le triangle, puis s’amenuise dans le carré, etc., jusqu’à un cercle final que l’on peut définir comme le polygone possédant une infinité de côtés. Dans ce cercle isopérimétrique, on peut considérer que le cercle inscrit et le cercle circonscrit coïncident. Selon N.de Cues, il suffirait de déterminer la proportion entre ces cercles, au moyen de leurs rayons, pour trouver le rapport entre la surface d’un cercle et celle d’un carré. Une telle proportion illustrerait la fécondité du principe de coïncidence des opposés. Le problème est que N. de Cues ne va pas - parce que c’est impossible - trouver une proportion satisfaisante. Voyons une des principales constructions que l’on trouve dans un petit traité de 1450 (23) :

La figure 1 : Avec la ligne ab divisée en trois parties égales, on dessine le triangle équilatéral c,d,e. Sur son côté cd, on reporte en traçant ik, un quart de la droite ab; de là, on construit le carré iklm. On dessine les cercles inscrits et circonscrits à ces deux polygones ;

La figure 2 (tirée de la précédente) : on tire à partir de f, g, h, des lignes de longueur quelconque, puis, parallèlement à fh, on tire tn dont le milieu est aa ; fg représente le rayon du cercle inscrit dans le triangle et fh celui du cercle circonscrit ; ensuite, on reporte sur tn le rayon du cercle inscrit au carré, soit np, et no, le rayon de son cercle circonscrit. On tire de g par p une droite à l’infini, et de même de h par o une droite à l’infini. On note q le point où elles concourent. Puis on tire par q parallèlement à fh la ligne sr, au milieu de laquelle on note bb. On affirme que rq est le rayon du cercle cherché dont la circonférence est égale à la droite ab.

N. de Cues se prend lui-même au piège lorsqu’il ne trouve entre ces rayons qu’un seul genre de proportion, à savoir la proportion " droite ". Il exclut une variation " courbe " dans les proportions. Il croit que les rayons des cercles inscrits aux polygones isopérimétriques, ainsi que les rayons des cercles circonscrits aux mêmes polygones, croissent et décroissent en proportion continue. On peut s’étonner de ce que la véritable variation, facilement repérable sur de simples figures, n’ait pas été entrevue par N. de Cues. Il suffit de dessiner les cercles inscrits et circonscrits à des polygones réguliers isopérimétriques comme le triangle, le carré, puis un hexagone et un heptagone, par exemple, pour voir que la différence entre les rayons ne diminue pas régulièrement. Mais N. de Cues pense que grâce à des rapports proportionnels simples, on peut établir des variations uniformes, et par là, que ces variations peuvent toujours être représentées par des droites.

En 1453, il reçoit une lettre de son ami florentin Paolo Toscanelli qui lui signale son erreur : Mais s’il n’est pas vrai que la droite passe ainsi, mais que, d’aventure, une courbe de quelque courbure passe de la première du triangle par les premières de tous les polygones jusqu’à la première du cercle, alors cette invention n’est pas suffisante (24). Le plus étonnant est de lire dans la lettre de son ami Toscanelli l’indication claire de son erreur ; mais N. de Cues ne veut pas la voir ; il poursuit sa fausse route. Et parce que c’est douteux, j’ai écrit dans un second livre d’autres inventions où ce doute cesse.

Il reçoit en cadeau du pape Nicolas V la nouvelle traduction des oeuvres d’Archimède, réalisée par Jacob de Crémone (25) ; au lieu de lui faire reconsidérer la difficulté du problème, sa lecture d’Archimède le conforte dans ses prétentions scientifiques. Le contraste est saisissant entre la morale intellectuelle de La docte ignorance, au sens où elle est un appel à l’humilité face au savoir, et cet entêtement à vouloir réussir là où Archimède avait échoué, à vouloir faire mieux que tout le monde en mathématiques.

Comment interpréter cet aveuglement ? - Il ne peut s’agir d’ignorance, ni d’incompétence : à la lecture détaillée de la lettre de Toscanelli, on s’aperçoit que la culture mathématique du Cusain peut passer pour supérieure à celle de son ami. Pour comprendre cet aveuglement, on peut notamment se demander pourquoi N. de Cues privilégie la ligne droite sur la ligne courbe ? On touche là à la nature des objets géométriques. Nous pouvons y repérer l’influence de Proclus.

6. L’influence déterminante de Proclus

Hofmann ne dit pas un mot d’une possible influence de Proclus sur l’oeuvre mathématique de N. de Cues dans son édition de 1951. Ce silence est justifié par l’absence totale d’allusion explicite à Proclus dans les textes du Cusain. Cependant, il me semble que la classification des lignes que Proclus expose dans son Commentaire sur le premier livre des Eléments d’Euclide (26) a été déterminante, bien qu’un problème de chronologie se pose. En effet, le texte grec de cette oeuvre a été imprimé pour la première fois à Bâle par Simon Grynaeus en 1533, et la traduction latine a été réalisée par Francis Barozzi à Padoue en 1560, (27) près d’un siècle après la mort du Cusain. Comment aurait-il pu le lire ?

Mais Nicolas de Cues possédait d’autres oeuvres de Proclus. Par exemple, on sait que Le commentaire du Parménide de Platon était son livre de chevet. M. de Gandillac a d’ailleurs remarqué que le Parménide de Proclus est l’ouvrage le plus annoté et le plus manié par N. de Cues (28). Aurait-il reconstitué par lui-même la classification des lignes, à la lecture des autres oeuvres de Proclus ? C’est peu probable, car ce thème n’y est pas traité et si parmi les 620 notes marginales que le Cusain a écrites sur son exemplaire du commentaire du Parménide, on peut lire quelques allusions aux nombres, on ne trouve rien sur les lignes. Alors, par quelle voie aurait-il eu connaissance de cette classification des lignes ?

On sait que les copies manuscrites des oeuvres de Proclus circulaient abondamment au XVème siècle (29). On sait également que Bessarion avec lequel Nicolas de Cues était très lié possédait plusieurs de ces copies. Donc, rien n’exclut qu’il ait eu accès par là au Commentaire sur le premier livre des Eléments d’Euclide dans sa version grecque, bien avant qu’il soit traduit. L’auteur de la traduction française de 1948, Paul ver Ecke, rapporte les propos de Barozzi qui dit avoir trouvé un exemplaire manuscrit en Crète, là même où Bessarion et Nicolas de Cues se sont rencontrés en 1437. Aussi, bien que nous ne disposions d’aucune preuve formelle, nous pouvons avoir une forte présomption en faveur d’une connaissance du commentaire proclusien d’Euclide par N. de Cues.

Grâce à cet ouvrage qui commente notamment les définitions géométriques d’Euclide, on peut se faire une idée assez exacte de la définition métaphysique que Proclus donne aux objets mathématiques. La géométrie représente bien un idéal pour lui puisqu’il a écrit ses Eléments de théologie (30) sous forme de traité mathématique. Il affectionne particulièrement le raisonnement par l’absurde qui conclut à une hypothèse en éliminant toutes les autres. Pour réussir dans cette pratique, il lui fallait disposer d’un classement précis des termes. Il classe donc les termes d’après leur généralité : plus un terme est général, plus il vaut ; chaque terme général est cause des choses comprises dans son extension. Par exemple, l’unité est cause de toutes les choses dont on peut dire qu’elles sont unes. Proclus énumère des séries, chaque série (seira) étant la réunion d’un imparticipé (un terme transcendant), d’un participé (le caractère commun aux choses qui participent à ce terme) et d’un participant (les choses elles-mêmes). Chaque série est non seulement un genre, mais aussi une cause des réalités qui la composent. C’est pourquoi, dans sa classification, la place de la série compte plus que son contenu. Cette idée de série va commander toute l’organisation des objets mathématiques, et, par conséquent, les démonstrations possibles à leur propos.

Avant d’énumérer la série des objets mathématiques élémentaires, il faut examiner la définition de la limite car le point, la ligne et la surface sont des limites (le point pour la ligne, la ligne pour la surface et la surface pour le corps). Les limites sont plus simples et plus primitives que les choses limitées. La fonction de la limite est d’empêcher que la grandeur étendue ne s’échappe dans l’indétermination, qu’elle s’étende dans l’infini. Aussi, ce qui limite est-il inférieur d’une dimension à ce qui est limité. Par exemple, la ligne, qui n’a qu’une dimension, limite la surface plane qui en a deux. Une telle conception de la limite se retrouve, telle quelle, chez N. de Cues : Puisqu’il en est la limite, le point est-il la perfection de la ligne ? - Il en est à la fois la perfection et la totalité qui enveloppe en elle-même la ligne ; poser un point est, en effet, limiter la chose même, mais, lorsqu’une chose est limitée, elle est par là même parfaite (31). Cette fonction de la limite est stratégique dans une théorie de l’enveloppement des objets : chaque être qui cause d’autres êtres est cause du tout de ces êtres. La cause, non seulement détermine, mais enveloppe ce qu’elle cause.

Pour mesurer l’effet de ce classement sur la nature même des objets, nous pouvons maintenant parcourir quelques définitions d’objets mathématiques élémentaires. Commençons donc par l’unité qui est, selon Proclus, plus parfaite que la multiplicité, car l’un est impartageable. L’unité est plus simple que le point et le précède. A la différence du point, l’unité est sans position, exempte de toute dimension et de tout lieu, alors que le point a une position. N. de Cues reprend aussi cette simplicité de l’un : L’un ou monade est plus simple que le point. Car l’indivisibilité du point n’est qu’une image de l’indivisibilité de l’un lui-même (32). Il soutient la supériorité de l’unité sur le point en faisant de celui-ci un développement de l’unité dans le domaine de la quantité : L’unité elle-même s’appelle un point, par rapport à la quantité qui développe l’unité elle-même, alors que dans la quantité on ne trouve que le point (33). Cependant, en d’autres endroits, N. de Cues semble abolir cette hiérarchie et sépare l’unité et le point en en faisant à égalité deux principes de deux domaines différents, l’unité étant le principe du nombre et le point étant le principe de la grandeur : Je croyais que le point enveloppe la ligne comme l’unité le nombre, puisqu’on ne trouve rien dans la ligne, sinon partout le point, comme rien dans le nombre, sinon l’unité. - Tu n’as pas eu tort de penser de la sorte (34);

Pour Proclus, le point est un élément, c’est-à-dire ce jusqu’à quoi s’étend la décomposition des corps, non pour les sens, mais pour la raison. Le point est un être de raison ; il est ce qui est simple pour la raison ; il est ce qu’il y a d’impartageable. Le point, comme limite, est absolument impartageable et, quoiqu’il existe en vue du fini, il possède un potentiel infini au moyen duquel il produit toutes les dimensions . Le point, en effet, engendre toutes les autres grandeurs sans cependant y perdre son indivisibilité. On trouve la même définition du point chez N. de Cues pour qui il n’existe pas à vrai dire plusieurs points, mais au fond, un seul : Dis-tu qu’il existe plusieurs points ? - Il n’existe ni plusieurs points ni plusieurs unités, mais, comme le point est la limite de la ligne, on peut le trouver partout dans la ligne, et cependant il n’existe en elle qu’un point unique qui, étendu, est la ligne (36).

La ligne est une longueur sans largeur, une grandeur dimensionnée d’une seule manière. Pour Proclus, la ligne se rend infinie par elle-même en raison de sa propre progression. C’est pourquoi elle doit être arrêtée dans son audace excessive par ses deux extrémités qui sont des points. Selon Proclus, elle ne saurait être définie comme le flux du point car ce serait la définir par sa cause et représenter ainsi seulement la ligne matérielle. Mais sur cette question, N. de Cues est moins exigeant : pour lui, la ligne est le déroulement du point ; le point se déroule en se développant. De quelle façon comprends-tu la ligne comme une évolution du point ? - Dire évolution, c’est dire développement, ce qui signifie seulement que le point se trouve en plusieurs atomes comme en des singuliers conjoints et continus (37). Il y a une participation du point à la ligne, mais cette définition reste très empirique, très proche de l’acte de tracer une ligne.

Le cercle est une certaine aire plane ; la circonférence est sa limite et son extrémité. Dans le cercle, le centre, les rayons et la circonférence sont séparés, et, cependant, ils sont les uns dans les autres. Le cercle est tel qu’il se place dans une position désirable avant les autres choses. Il donne part à l’existence des choses disposées autour de lui ; il est la cause initiale de tous les accroissements. Proclus voit dans le cercle la première, la plus simple et la plus parfaite des figures géométriques. Le cercle l’emporte sur toutes par sa similitude, son identité avec soi-même. Il correspond au fini, à l’unité, au meilleur arrangement. Il est d’une nature plus divine que les autres figures. Le cercle est attribué au ciel, alors que les formes rectilignes sont attribuées à la génération. N. de Cues ne suit pas exactement Proclus sur la symbolique du cercle ; s’il y voit la simplicité (le cercle est la figure parfaite de l’unité et de la simplicité ), il n’y voit pas le symbole du fini, mais de l’éternité : dans le cercle, qui ne contient ni commencement ni fin, je vois l’image de l’éternité (39). Au Moyen Âge, le cercle est le support d’un changement de signe de l’infini qui, de négatif, devient positif. La ligne circulaire, c’est l’image de l’être parfait auquel rien ne manque, c’est l’image de Dieu : dès que tu seras attentif au dit du sage, lequel affirmait que Dieu est un cercle dont le centre est partout, tu verras que, de même que partout se trouve le point en tout ce qui a quantité, ainsi est Dieu en toutes choses (40). On reconnaît la fameuse formule attribuée à Hermès Trismégiste. Cela ne signifie pas que la ligne circulaire soit une image du repos, mais c’est l’image du mouvement parfait puisque le début y coïncide avec la fin : la ligne infinie est circulaire, puisque dans une telle figure le principe coïncide avec la fin (41). Cependant, on retrouve chez Proclus et chez N. de Cues le même choix pour les symboles du céleste et du corruptible ; l’homme en devenir est comme une figure rectiligne ; s’il s’élève vers Dieu, il va, par la multiplication de ses angles, ressembler de plus en plus au cercle divin : la nature humaine est le polygone inscrit dans un cercle, et le cercle la nature divine ; si le polygone doit être aussi grand qu’il peut l’être, il n’existerait plus par lui-même avec ses angles définis, mais dans la figure du cercle, et ainsi il n’aurait pas de figure propre pour exister, de figure que l’on pût séparer, même par la pensée, de la figure éternelle du cercle (42).

Qu’est-ce qu’une ligne droite, pour N. de Cues ? C’est essentiellement l’image d’un développement, l’expression géométrique la plus claire de l’explication de Dieu dans le monde. La ligne est le déroulement du point, et pour le point lui-même se dérouler signifie se développer (43). La ligne droite est donc par principe continue. Il faut prendre la ligne, me semble-t-il, non comme le trait, mais comme le tracé, c’est-à-dire comme ce qui se meut à partir de soi. Lorsque N. de Cues parle de ligne droite, il entend, en fait, un segment de droite qui peut toujours se prolonger en glissant sur lui-même ; c’est une conception très concrète, très pratique de l’objet géométrique ; il faut voir sur la ligne droite la règle toujours prête à coulisser sur le trait, toujours prête à guider le crayon pour dérouler le point. Une ligne droite n’est donc jamais tout à fait délimitée, finie ; la ligne finie contient en elle le développement potentiel de la ligne infinie : toute ligne finie tient son être de la ligne infinie, qui est tout ce qu’elle est. C’est pourquoi dans la ligne finie la ligne infinie est tout ce qu’elle est ; or, comme elle est ligne, triangle, cercle, sphère, la ligne finie est cela (44).

Proclus distingue la ligne droite de la ligne circulaire par des caractères qui en font des symboles très différents. La ligne droite est la plus simple ; nulle dissimilitude ne s’y trouve. Elle ne suggère pas la circonférence à l’esprit. Dans le cercle, la circonférence n’est pas engendrée par une droite mais par le point emporté autour du point fixe au centre. La droite, elle, ne détermine que la distance de la circonférence au centre. La ligne droite est symbole de la Providence inflexible, incorruptible, immaculée, inépuisable, omnipotente, présente à toutes les choses (45). La ligne circulaire est plus composée : on y trouve le concave et le convexe, images de la transformation. La ligne droite ne suggère pas la circonférence, mais la circonférence suggère la ligne droite du point de vue de sa relation avec le centre. La ligne circulaire est symbole de l’énergie qui se contracte sur elle-même, qui se ramasse en elle-même, et qui soumet toute chose à une délimitation intelligible. On trouve la même hiérarchie symbolique chez N. de Cues. La ligne droite et la ligne circulaire sont deux images de la divinité, avec, semble-t-il, cette différence : la rectitude symbolise la puissance de Dieu qui s’étend dans le monde, car la ligne droite procède d’un mouvement ouvert et illimité, le point de départ se tenant dans un écart croissant vis-à-vis de lui-même ; la circularité symbolise l’être de Dieu qui se tient identique à lui-même, car la ligne circulaire est fermée, chaque point de la ligne maintenant un écart constant par rapport au centre.

Qu’est-ce qu’une ligne courbe ? Face à ces deux images de la nature divine que sont le droit et le circulaire, le courbe est conçu comme une altération, comme une dégradation, notamment parce que la rectitude est infinie alors que la courbure est finie. Le chapitre VII du Complément théologique est très précis sur ce point. Le circulaire est rangé du même côté que le droit grâce à son infinité alors que le courbe est rejeté du côté du fini, comme un moindre être :

La rectitude absolue est donc infinie. En revanche la curvitude ne peut pas être infinie. C’est pourquoi la ligne circulaire du cercle infini ne peut pas être courbe, puisqu’elle est infinie. Chaque courbure est donc bornée par les limites de sa grandeur. Et la curvitude n’a pas d’autre prototype que la rectitude. Que celui qui désire tracer une ligne courbe contemple mentalement la ligne droite et la fasse dériver de celle-ci en l’incurvant (46).

La hiérarchie est ensuite précisée : d’abord, il y a la rectitude, image de l’infini et de l’éternité ; ensuite, il y a le courbe circulaire qui procède de la rectitude pour son infinité mais qui lui est inférieur parce que le circulaire est quantifié ; enfin, il y a le courbe non-circulaire qui est fini :

Or la courbure, qui est la plus proche de la rectitude infinie, est une image approximative de la courbure circulaire. Car la rectitude infinie est l’Eternité même, qui ne comporte ni commencement, ni milieu, ni fin, ni quantité, ni qualité. En revanche la courbure circulaire, qui est nécessairement quantifiée et composée, comporte la coïncidence du commencement et de la fin et procède nécessairement de la rectitude infinie comme de son principe et de sa vérité. La courbure en effet n’existe pas par elle-même, mais dérive de cette rectitude, qui est sa mesure. Car le droit mesure le courbe.

La courbure circulaire dérive donc de la rectitude infinie sous un mode plus parfait que la courbure non-circulaire, puisque de même que la rectitude infinie est dénuée de commencement, de milieu et de fin, de même ceux-ci coïncident dans la courbure circulaire et ne diffèrent ou ne se distinguent en rien les uns des autres...(47)

Cette hiérarchie semble très proche de ce que A. Charles-Saget met en évidence dans L’architecture du divin, à propos des objets géométriques chez Proclus. Un des principes de classement de ces objets consiste à dire que le principe engendrant est plus riche que l’élément engendré. Chez N. de Cues, cela donne le tableau suivant :

ligne droite :

infinie

parfaite

éternelle

ligne circulaire :

infinie

parfaite

 

ligne courbe :

finie

   

On trouve un second principe : on reconnaît dans le caractère négatif des premières définitions le signe de la puissance des termes définis ; le point indivisible engendre la ligne divisible ; la ligne sans largeur engendre la surface. On parvient au principe fondamental de la théologie négative : " les négations engendrent les affirmations." (48), nous dit A. Charles-Saget. Chez N. de Cues, cela donne :

ligne droite :

ni commencement

ni milieu

ni fin

ni quantité

ni qualité

ligne circulaire :

ni commencement

ni milieu

ni fin

quantité

composée

ligne courbe :

commencement

milieu

fin

quantité

composée

On est loin du classement moderne des lignes qui renverse complétement cette hiérarchie métaphysique. Képler - qui a lu N. de Cues - a fait du cercle un cas particulier des sections coniques : le cercle est une ellipse dont tous les diamètres sont égaux. Aujourd’hui, la ligne droite est considérée comme un cas particulier de la ligne courbe : c’est une ligne dont la courbure est nulle. Le principe générateur des lignes est maintenant la courbure, et non plus la rectitude.

Conclusion : le choix proclusien de N. de Cues :

Reconsidérons la figure des isopérimètres. Le point q est conçu comme la coïncidence du minimum (le rayon du cercle inscrit) et du maximum (le rayon du cercle circonscrit). Je fais l’hypothèse que cette représentation mathématique est commandée par des exigences métaphysiques :

On peut rappeler ici l’image de la participation de Dieu dans le De Conjecturis : il y a explication de Dieu, linéairement, vers le sensible ; il y a complication du sensible vers Dieu, tout aussi linéairement. La figure du Quadratura circuli me semble largement inspirée du même principe de distribution linéaire et continue.

Quand N. de Cues évoque dans les Compléments mathématiques l’hypothèse effarante pour lui que, d’aventure, une courbe de quelque courbure passe de la première du triangle par les premières de tous les polygones jusqu’à la première du cercle, il n’entend pas un simple degré de courbure, mais bien une ligne d’une autre nature ; " de quelque courbure " signifie " de quelque être courbe ", c’est-à-dire relevant d’une nature dégradée par rapport au cercle et à la ligne droite. Si l’on ajoute que la coïncidence est le lieu de Dieu, que c’est en Dieu que le maximum et le minimum sont réunis, et donc que le point q, c’est Dieu, alors on mesure combien il est impossible pour N. de Cues que la courbure puisse mener à Dieu ; il y a un empêchement métaphysique d’une telle gravité que la résolution du problème mathématique de la quadrature du cercle ne peut pas ne pas s’y plier. Voilà pourquoi N. de Cues ne voit pas la solution ; il ne peut même pas l’envisager comme une hypothèse à étudier ; immédiatement, il l’écarte d’un mouvement de répulsion incontrôlé : s’il n’est pas vrai que la droite passe ainsi, alors cette invention n’est pas suffisante. Et parce que c’est douteux, j’ai écrit dans un second livre d’autres inventions où ce doute cesse.

L’influence de première importance que Proclus a exercée sur le Cusain suffit à légitimer la longueur de cette comparaison entre les deux auteurs. Sauf sur quelques points relativement secondaires, l’essentiel de la philosophie des mathématiques du Cusain est tirée de Proclus.

Notes

(1) Complément théologique, in N. de Cues, Trois traités sur la docte ignorance et la coïncidence des opposés, trad. F.Bertin, Paris, Cerf, 1991, pp.100-101.

(2) Die Mathematische Schriften, traduction allemande par Josepha Hofmann, introduction et notes par Joseph Ehrenfried Hofmann, Hamburg, Félix Meiner, 1951.

(3) En réalité, il s'agit de la proposition VI, 9, d'après la numérotation actuelle.

(4) Euclide, Eléments, trad. Bernard Vitrac, Paris, P.U.F., 1990, t. II, p. 183.

(5) Posse autem inter semidiametrum & medietatem peripheriae medium proportionale facile constitui, Euclides ostendit. Bâle, p. 1091. Nous nous référons à l'exemplaire imprimé de ses Opera, éditée à Bâle par Henri Pétri en 1565, en deux volumes, conservé sous la cote D1500 de la Bibliothèque Nationale, à Paris.

(6)...hinc 92 erit ut po, ut ex Euclide scilicet 37, primi, & 4, sexti notum tibi existit. Bâle, p. 1093.

(7)...su medium proportionale inter rs & sx. Ex nona fexti. suz2 quadratum aequale circulo, cuius semidiameter rq. Bâle, p. 1094.

(8)...talis est cd lineae ad cf lineam : per primam enim sexti Euclidis dictae superficies sunt eiusdem altitudinis, ergo suis basibus sunt proportionales. Bâle, p. 1099.

(9) De Mathematicis complementis, Bâle, pp. 1016 et 1024, De Una recti curvique mensura, Bâle, p. 1106, Dialogus de circuli quadratura, De sinibus et chordis, Bâle, p. 1098 et De caesarea circuli quadratura.

(10) Campanus, Elementa Euclidis (vers 1270).

(11) De Quadratura Circuli.

(12) qui cite quelques lignes auparavant le commentaire des Eléments par Campanus : Ad confirmandum hanc sententiam de dyametro et costa inducit Campanus decimo Geometrie commento septimo consequentiam quam facit Aristoteles primo Priorum : Pour confirmer cette opinion sur le diamètre et le côté, Campanus, dans le septième commentaire du livre X de la Géométrie, introduit la conséquence que fait Aristote dans le premier livre des Premiers [Analytiques]. in Geometria speculativa, texte latin et traduction anglaise de George Molland, Wiesbaden-Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 1989, p. 108.

(13) Op. Cit., 3.5.3, p. 110 : Ex quo manifestum est quod linea media proportionabiliter inter costam et dyametrum est incommensurabilis utrique in longitudine simul et potentia.

(14) Par exemple : si recta ducitur de angulo in angulum, diameter est, quia in duo dividit. (Si on mène une droite d'un angle à un angle, c'est le diamètre parce qu'il divise en deux.); De Mathematicis complementis, Partie I., Bâle, p. 1019.

(15) Bradwardine, Geometria speculativa, p. 53.

(16) Iamdudum notissimum fuit, si datae duae lineae simul iunctae diametri circuli fiant, & eas chorda orthogonaliter separavit : quod semichorda est medio loco inter ipsas proportionalis, quoniam semichorda inter sagittam & residuum diametri, mediare necessarium est. De Transmutaionibus geometricis, Bâle, p. 962.

(17)VI, 13, dans notre numérotation.

(18) Bradwardine, Thomas, Geometrica speculativa, texte latin et traduction anglaise de George Molland, Wiesbaden-Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 1989, 3.4. 4, p. 102 : 3.44 Quarta conclusio erit de medio proportionali inveniendo geometrice inter lineas datas quascumque, sive fuerit proportio earum nota sive non : datis duabus lineis illisque directe coniunctis et linealiter, si super totam lineam sic compositam et ex duabus aggregatam describatur semicirculus, linea que a communi termino duarum linearum coniunctarum orthogonaliter ad circumferentiam venerit inter datas lineas secundum proportionalitatem continuam mediabit. (...) Ideo sufficiat nobis Euclidis auctoritas, cuius est ista propositio sexto Geometrie conclusione nona. Et est sensus in brevi quod omnis linea in circulo ad circumferentiam super dyametrum veniens orthogonaliterque dyametro insistens secat eam in duas partes inter quas ipsa secundum proportionalitatem continuam mediabit. Pro nunc igitur satis sit ex auctoritate fides.

(19) On la trouve notamment dans les Transmutationibus geometricis, Bâle, pp. 970 et 1016 et dans Circuli Quadratura.

(20) Quadrangulus surgens ex multiplicatione semidiametri in semiperipheriam circuli: nec maior nec minor est area circuli. De Mathematicis complementis, Bâle, p. 1011.

(21) Supponam unam propositionem Archimenidis de mensura circuli, et erit mihi petitio, quoniam eam demonstrare maiorem requireret tractatum quam sit totum istud [opus]. Et est ista : omnis circulus triangulo orthogonio est equalis cuius unum duorum laterum rectum angulum continentium medietati dyametri circuli equatur et alterum ipsorum linei continenti circulum. Geometria speculativa, 3.6.5., p. 116.

(22) Clagett, Marshall, Archimedes in the Middle Ages, volume III, partie III, The Medieval Archimedes Toward the Middles of the Fifteenth Century, Philadelphie, The American philosophical society, Independance square, 1980, pp. 297-315.

(23) De quadratura circuli, Bâle, p. 1092.

(24) De Mathematicis complementis, Bâle, p. 1027.

(25) La traduction des oeuvres d'Archimède fut commandée par Nicolas V à Jacob de Crémone ; elle fut terminée à la fin de l'été 1450 ; elle fut ensuite copiée et corrigée par Regiomontanus en 1462. Selon Clagett, N. de Cues n'a pas pu avoir accès à cette traduction, ni à ses sources avant cette année 1453.

(26) Proclus, Commentaire sur le premier livre des Eléments d'Euclide, trad. Paul Ver Eecke, Paris, Blanchard, 1940.

(27) Proclus, A commentary on the first book of Euclid's Elements, trad. Glenn R. Morrow, Princeton University Press, 1970, pp. XLIV et XLV.

(28) Gandillac, Maurice de, La philosophie de N. de Cues, p. 107.

(29) Proclus, lecteur et interprète des Anciens, Actes du colloque international du CNRS de Paris (2-4 Oct. 1985), article de Paul Oskar Kristeller, p. 191-211.

(30) Proclus, Eléments de théologie, trad. J. Trouillard, Paris, Aubier-Montaigne, 1965.

(31) De Ludo Globi, Herder, III, 320-322. Voir aussi De Docta Ignorantia, II, 3, Herder, I, 330.

(32) De Beryllo, in Oeuvres choisies de N. de Cues, par M. de Gandillac, Paris, Aubier-Montaigne, 1942, XVII, p. 480, Herder, III, 26.

(33) De Docta Ignorantia, II, 3, Herder, I, 330.

(34) De Mente, Herder, III, 558.

(35) Proclus, Commentaire sur le premier livre des Eléments d'Euclide, trad. Paul Ver Eecke, Paris, Blanchard, 1940, p. 79.

(36) De Mente, Herder, III, 556. Voir aussi De Beryllo, in Oeuvres choisies de N. de Cues par M. de Gandillac, XVII, p. 481, Herder, III, 26.

(37) De Mente, Herder, III, 556-558..

(38) N. de Cues, De Docta Ignorantia, I, 21, Herder, I, 266.

(39) N. de Cues, De Ludo Globi, Herder, III, 234-236. Cette image se trouve déjà chez Aristote (in De Caelo, I, 9, 279a) et accorde déjà par là une certaine positivité à l'infini cosmologique.

(40) De Ludo Globi, Herder, III, 312.

(41) De Docta Ignorantia, II, 12, Herder, I, 396.

(42) N. de Cues, De Docta Ignorantia, III, 4, Herder, I, 448.

(43) De Ludo Globi, Herder, III, 228.

(44) De Docta Ignorantia, II, 5, Herder, I, 346.

(45) Proclus, Commentaire sur le premier livre des Eléments d'Euclide, trad. Paul Ver Eecke, Paris, Blanchard, 1940, p. 98.

(46) Complément théologique, in N. de Cues, Trois traités sur la docte ignorance et la coïncidence des opposés, trad. F.Bertin, Paris, Cerf, 1991, VII, p. 107, Herder, III, 672. (47) id. (48) Charles-Saget, Annick, L'architecture du divin : mathématique et philosophie chez Proclus, Paris, Belles-Lettres, 1982, p. 273.

 

Oeuvres scientifiques de Nicolas de Cues

1436

Reparatio calendarii

1445

De Transmutationibus geometricis

1450

De Arithmeticis complementis

De Staticis experimentis (L.III du De Idiota)

De circuli Quadratura

De Quadratura circuli

1453

De quadratura circuli (Magister Paulus ad Nicolaum Cusanum)

De Mathematicis complementis

Declaratio rectilineationis curvae

1454

De Una recti curvique mensura

1457

De sinibus et chordis

De caesarea circuli quadratura

1458

De mathematica perfectione

1459

De mathematicis aurea propositio

 

Outils bibliographiques

Kleinen-Danzer, " Cusanus-Bibliographie (1920-1961) ", Mitteilungen und Forschungsbeiträge der Cusanus-Gesellschaft, 1, Matthias Grünewald Verlag, Mainz, 1961.

Danzer, Robert, " Cusanus-Bibliographie, Fortsetzung (1961-1964) und Nachträge ", Mitteilungen und Forschungsbeiträge der Cusanus-Gesellschaft, 3, Matthias Grünewald Verlag, Mainz, 1963.

Vasquez, Mario, " Cusanus-Bibliographie, 3. Fortsetzung (1967-1973) mit Ergänzungen ", Mitteilungen und Forschungsbeiträge der Cusanus-Gesellschaft, 10, Matthias Grünewald Verlag, Mainz, 1973.

Kaiser, Alfred, " Cusanus-Bibliographie, 4. Fortsetzung (1972-1982) mit Ergänzungen ", Mitteilungen und Forschungsbeiträge der Cusanus-Gesellschaft, 15, Matthias Grünewald Verlag, Mainz, 1982.

 

Oeuvres de Nicolas de Cues actuellement disponibles en français

Gandillac, Maurice de, Oeuvres choisies de Nicolas de Cues, Paris, Aubier-Montaigne, 1942, [Contient l’Idiota, une grande partie de La Docte Ignorance et d’autres extraits].

De la docte Ignorance, trad. Moulinier, Paris, La Maisnie, 1930, rééd. 1979.

Concordance catholique (De Concordantia), trad. R. Galibois révisée par M. de Gandillac, Québec, Université de Sherbrooke, 1977.

La paix de la foi (De Pace Fidei ), trad. R. Galibois révisée par M. de Gandillac, Québec, Université de Sherbrooke, 1977.

Lettres aux moines de Tegernsee sur la docte ignorance (1452-1456), suivies de Du jeu de la boule (1463), trad. Maurice de Gandillac, Paris, O.E.I.L., Coll. Sagesse chrétienne, 1985.

Le Tableau ou la vision de Dieu (De visione Dei sive de icona, 1453), trad. Agnès Minazzoli, Paris, Cerf, 1986.

Trois traités sur la docte ignorance et la coïncidence des opposés, trad. F.Bertin, Paris, Cerf, 1991, [Contient l’Apologie de la docte ignorance, le Complément théologique et Le Principe].

Le guide du penseur ou du non-autre, trad. Hervé Pasqua, Ker Lann (Rennes), Cahier du C.E.R.P. n°10, 1995.

Sermons eckhartiens et dionysiens, trad. Francis Bertin, Paris, Cerf, 1998.

Editions allemandes

Cusa, Nicolaus Khryppfs, dit Nicolas de, Opera omnia, éd. Heidelberg, Hofmann et Klibansky. [Edition scientifique commencée en 1932 par l’Académie de Heidelberg].

Nikolaus von Kues, Die philosophisch-theologischen Schriften, Sonderausgabe zum Jubiläum, lateinisch-deutsch, 3 vol. , Wien, Herder, 1989. [Edition des oeuvres principales en latin-allemand menée par Dietlind et Wilhelm Dupré].

Die Mathematische Schriften, traduction allemande par Josepha Hofmann, introduction et notes par Joseph Ehrenfried Hofmann, Hamburg, Félix Meiner, 1951.

La méthode des isopérimètres

 

 

Faciemus autem hanc partem tibi hoc modo clariorem. Ex ab linea in tres partes divisa, c d e, triangulus designetur, & in eius latere cd signetur pars quarta ab quae fit ik, quae quadretur, & fit iklm : Describantur inscripti & circumscripti circuli ; & fit inscripti trigono semidiameter fg, & circumscripti fh, & inscripti tetragono ng, circumscripti no. Signetur deinde linea fh, & in eius medio g.

Lineis de fgh tractis quantumlibet, trahatur ad fh aequidistans tn, cuius medium fit aa, & signetur semidiameter inscripti alicuius polygoniae isoperimetrae, puta tetragonae, quae fit np, & semidiameter circumscripti, quae fit no, & trahe de g per p in infinitum, & similiter de h per o lineam in infinitum & ubi ille concurrunt signa q, trahe per q aequidistantem ad fh, quae fit sr, in cuius medio signa bb. Dicimus rq esse semidiametrum circuli quaesiti, & eius circumferentiam aequalem ab lineae rectae.

De Quadratura circuli (1450)

Nous allons te rendre cette partie plus claire de la façon suivante. Avec la ligne ab divisée en trois parties, on dessine le triangle c,d,e. Sur son côté cd, on reporte en traçant ik, un quart de la droite ab ; de là, on construit le carré iklm. On dessine les cercles inscrits et circonscrits ; soit fg le demi-diamètre du cercle inscrit dans le triangle, fh celui du circonscrit ; soit ng celui du cercle inscrit dans le carré, no celui du circonscrit ; on trace ensuite la ligne fh, et sur son milieu on marque le point g.

On tire à partir de f, g, h, des lignes de longueur quelconque, puis, à équidistance de fh, on tire tn dont le milieu est aa ; ensuite, on trace le demi-diamètre du cercle inscrit à un polygone isopérimétrique quelconque, par exemple un carré, soit np, et le demi-diamètre du circonscrit, no. On tire de g par p une droite à l’infini, et de même de h par o une droite à l’infini. On note q le point où elles concourent. Puis on tire par q à équidistance de fh la ligne sr, au milieu de laquelle on note bb. Nous affirmons que rq est le demi-diamètre du cercle cherché, dont la circonférence est égale à la droite ab.

 

 

Des courbes ou des droites ?

 

Sed non video cur duae lineae hb & bd concludentes omnes illos excessus primarum & secundarum, non possent esse curvae omni genere curvitatis, & tunc non procederet demonstratio : erit enim illud quod in decima tua conclusione dixisti, quod primae capaciorum erunt semper maiores, & secundae minores : haec volo mihi in praesenti sufficiant. Multa habeo, quae me movent, quod istae coincidentiae sive intensiones & remissiones formarum non per lineas rectas signari debeant, ut moderni ponunt, sed in aliud tempus refervo.

De quadratura circuli, Magister Paulus ad Nicolaum Cusanum (hiver 1453-1454).

Mais je ne vois pas pourquoi les deux lignes hb et bd enfermant tous ces excès des premières et des secondes, ne peuvent pas être des courbes de tout genre de courbure, et alors la démonstration n’aboutirait pas : il se produirait en effet ce que tu as dit dans ta dixième conclusion, à savoir que les premières des surfaces seront toujours plus grandes et les secondes toujours plus petites. Je veux pour l’instant rendre cela suffisamment clair. Beaucoup d’autres points m’agitent, par exemple que ces coïncidences en intensions ou en rémissions de formes ne doivent pas être décrites par des lignes droites, comme les modernes le posent, mais je le reporte à un autre moment.

 

 

8. Procedit autem haec inventio si verum est, quod linea recta de prima linea trigoni ad primam circuli isoperimetri tracta : transit per primas lineas omnium polygoniarum mediarum. Sed si hoc non est verum, quod recta sic transeat, sed forte curva aliqua curvitate transeat de prima trigoni, per primas omnium polygoniarum ad primam circuli : tunc haec inventio non est sufficiens. Et quia hoc est dubium, ideo alias ad inventiones meas ubi hoc dubium cessat, in secundo libello conscripti.

De Mathematicis Complementis (Sept. 1453), fin de la première partie.

 

 

8. Mais aussi, si cette invention est vraie, il arrive que la ligne droite tirée de la première ligne du triangle à la première du cercle isopérimétrique passe par les premières lignes de tous les polygones intermédiaires. Mais s’il n’est pas vrai que la droite passe ainsi, mais que, d’aventure, une courbe de quelque courbure passe de la première du triangle par les premières de tous les polygones jusqu’à la première du cercle, alors cette invention n’est pas suffisante. Et parce que c’est douteux, j’ai écrit dans un second livre d’autres inventions où ce doute cesse.

 

La classification des lignes

 

Cependant, il semble que, parmi les deux lignes simples existantes : la droite et la circulaire, la droite soit la plus simple, car nulle dissimilitude ne se présente à l’esprit dans celle-ci, tandis que dans la ligne circulaire, le concave et le convexe présentent l’image de la transformation. De plus, la ligne droite ne suggère pas la circonférence à l’esprit, mais la circonférence y suggère la ligne droite, si pas en ce qui concerne sa génération, du moins au point de vue de sa relation avec le centre. Qu’en est-il, dès lors, si l’on dit que la circonférence a besoin de la ligne droite par sa constitution ? car, si l’une des extrémités d’une ligne droite déterminée reste fixe, tandis que l’autre extrémité est mue, celle-ci décrit un cercle et l’extrémité fixe de cette ligne droite sera son centre. Est-ce le point emporté autour du point fixe qui décrit le cercle et non la droite ? La ligne droite ne détermine, en effet, que sa distance ; tandis que le point mû circulairement, établit la ligne circulaire.

Il suffit donc à ce sujet. La circonférence semble cependant se rattacher au fini et avoir avec les autres lignes le rapport que possède le fini avec toutes les choses qui sont, - car elle est définie et la seule des lignes simples qui accomplisse une figure, - tandis que la ligne droite se rattache à l’infini et ne cesse donc pas en étant prolongée à l’infini.

Proclus, Commentaire du premier livre des Eléments d’Euclide, trad. Paul Ver Eecke, p. 96-97.

Mais Géminus, de son côté, distribue la ligne d’abord en ligne non composée et en ligne composée, - il appelle ligne composée celle qui est brisée et forme un angle, - et subdivise ensuite la ligne non composée en disant que la ligne circulaire, celle du bouclier et celle de la cissoïde, forment figure, tandis que la section du cône rectangle, la section du cône obtusangle, la conchoïde, la ligne droite et toutes celles de cette sorte ne forment pas figure. Il dit d’autre part, d’une manière différente, que la ligne non composée est tantôt simple, tantôt mixte ; que la ligne simple forme une figure telle que la circulaire ou est indéfinie comme la ligne droite, et que la ligne mixte se trouve tantôt sur les plans, tantôt sur les solides ; que celle qui est sur les plans retombe tantôt sur elle-même, comme la cissoïde, et se prolonge tantôt à l’infini ; tandis que celle qui est sur les solides est imaginée tantôt suivant une section des solides, tantôt comme établie autour des solides ; car l’hélice décrite autour de la sphère ou du cône est établie autour de solides, tandis que les sections coniques ou spiriques sont engendrées par telle ou telle section de solides.

Proclus, Commentaire du premier livre des Eléments d’Euclide, trad. Paul Ver Eecke, p. 100-101.

 

Courbure et rectitude

 

Scitur ex mathematicis rectum non dici nisi secundum modum unum. Una enim linea recta sive magna sive parva non est magis aut minus recta quam alia. Rectitudo igitur infinita esse concipitur, quia non clauditur quantitate, nec recipit magis et minus. Absoluta igitur rectitudo est infinita. Curvitas autem non potest esse infinita. Quapropter circularis linea circuli infiniti non potest esse curva, quia infinita. Clauditur igitur omnis curvitas terminis magnitudinis suae. Et non habet curvitas exemplar nisi rectitudinem. Qui enim depingere vult curvam lineam respicit mente ad rectam, et cadere eam facit ab illa reflexe.

Curvitas autem, quae est infinitae rectitudini propinquior, similitudo est circularis curvitatis. Infinita enim rectitudo est ipsa aeternitas, quae non habet principium, nec medium, nec finem, nec quantitatem, nec qualitatem. Circularis autem curvitas, quae necessario est quanta et composita habet coinidentiam principii et finis et est necessario a rectitudine infinita tamquam a principio suo et veritate sua. Curvitas enim ex se non est, sed ab illa rectitudine est, quae est eius mensura. Rectum enim mensurat curvum.

Cadit igitur circularis curvitas a rectitudine infinita perfectiori modo quam non circularis, quia sicut rectitudo infinita caret principio, medio et fine. Sic in curvitate circulari illa coincidunt et minime distant seu differunt. Unde plus assimilatur circularis curvitas infinito quam finita rectitudo, ubi principium, medium et finis distant.

Complementum theologicum (1454), chap. VII, ( éd. Herder, III, p. 672.).

On sait grâce aux mathématiques que la rectitude ne se prédique qu’en un sens univoque. Car une ligne droite, qu’elle soit grande ou petite, n’est ni plus droite ni moins droite qu’une autre ligne droite. On conçoit donc la rectitude comme infinie, puisqu’elle n’est pas limitée par la quantité et qu’elle n’admet ni le plus ni le moins. La rectitude absolue est donc infinie. En revanche la curvitude ne peut pas être infinie. C’est pourquoi la ligne circulaire du cercle infini ne peut pas être courbe, puisqu’elle est infinie. Chaque courbure est donc bornée par les limites de sa grandeur. Et la curvitude n’a pas d’autre prototype que la rectitude. Que celui qui désire tracer une ligne courbe contemple mentalement la ligne droite et la fasse dériver de celle-ci en l’incurvant.

Or la courbure, qui est la plus proche de la rectitude infinie est une image approximative de la courbure circulaire. Car la rectitude infinie est l’Eternité même, qui ne comporte ni commencement, ni milieu, ni fin, ni quantité, ni qualité. En revanche la courbure circulaire, qui est nécessairement quantifiée et composée, comporte la coïncidence du commencement et de la fin et procède nécessairement de la rectitude infinie comme de son principe et de sa vérité. La courbure en effet n’existe pas par elle-même, mais dérive de cette rectitude, qui est sa mesure. Car le droit mesure le courbe.

La courbure circulaire dérive donc de la rectitude infinie sous un mode plus parfait que la courbure non circulaire, puisque de même que la rectitude infinie est dénuée de commencement, de milieu et de fin, de même ceux-ci coïncident dans la courbure circulaire et ne diffèrent ou ne se distinguent en rien les uns des autres. Par conséquent la courbure circulaire se rapproche davantage de l’infini que la rectitude finie, où le commencement, le milieu et la fin diffèrent les uns des autres.

trad. F. Bertin, in Trois traités sur la docte ignorance, Paris, Cerf, 1991, p. 106-107.

 

Voir également les remarques faites par Jean Celeyrette lors de la discussion suivant cet exposé.