Je chercherai à montrer ici [1]
l’extrême complexité de l’Éthique de Spinoza, et tout
particulièrement lorsqu’il aborde le thème de la nécessité et de la liberté.
Telle est la raison pour laquelle sa démarche « géométrique » a
souvent produit la plus grande confusion, tout particulièrement sur ce point.
Hegel par exemple, après une lecture hâtive et peut-être limitée au début de
l’Éthique, put dire ainsi que le spinozisme était du
déterminisme (déterminisme, ajouta-t-il, bien vite transfiguré en acosmisme). Si
Hegel avait poursuivi sa lecture (et n’avait pas été à ce point conditionné par
ses présupposés, par sa façon de philosopher « dans » le spinozisme
pratiqué depuis une trentaine d’années) [2], il
aurait sans doute pu réaliser que sur la nécessité et sur la liberté, on
retrouve dans l’Éthique les mêmes mouvements, parfois
contradictoires et parfois convergents, que ceux rencontrés dans la tradition
matérialiste à propos des autres catégories ontologiques et éthiques. Au moins
deux lignes directrices coexistent ainsi dans le matérialisme : l’une
exaltant le monde dans son effectivité compacte, l’autre faisant de la liberté
le témoin, efficient et immanent, de la transformation du réel. Procédant
au-delà du point où s’était arrêtée l’impatience hégelienne, le lecteur de l’Éthique pourra alors saisir le discours spinoziste dans son
dispositif éminent, celui de la deuxième tendance ; et réaliser par là que
la liberté (confondue, au début de l’Éthique, avec la
contingence, et partant résorbée de force dans la nécessité), finit par
conquérir une puissance ontologique constituante au cours du déploiement
« prolixe » de l’œuvre. Ce n’est plus la liberté, mais seulement la
contingence qui est alors dominée par la nécessité : et cette dernière (ce
donné réel et nécessaire) est au contraire investie par la liberté, elle se
configure comme l’horizon en acte de l’innovation du monde. C’est le réel lui
même, c’est la pure immanence absolue qui s’affirme dans sa présence
intempestive, qui se forme et se constitue éthiquement. [3]
Partons donc (brièvement), du commencement de l’Éthique, et
posons-nous la plus simple des questions : qu’en est-il ici de la liberté
de la volonté ? Telle est précisément la question posée par Spinoza dans le
Livre I, Proposition 30 [4] et
suivantes. « La liberté ne peut être appelée cause libre, mais seulement
cause nécessaire » (Proposition 32). Dans les Corollaires I et II de cette
Proposition, la non-liberté de la volonté est certifiée, en l’homme et - chose
bien plus importante - en Dieu, par le fait que l’on ne peut penser la volonté
comme absolue si on la pense comme libre : si en effet elle était libre,
son efficace se diluerait dans l’enchaînement infini des causes, et finirait par
s’y perdre. Tout au contraire, « les choses n’ont pu être produites par
Dieu d’aucune manière autre et aucun ordre autre, que de la manière et dans
l’ordre où elles ont été produites ». Et l’Appendice du Livre I conclut le
raisonnement : « J’ai expliqué dans ce qui précède la nature de Dieu
et ses propriétés, savoir, qu’il existe nécessairement ; qu’il est unique,
qu’il est et agit par la seule nécessité de sa nature… ; enfin que tout a
été prédéterminé par Dieu, non certes par la liberté de la volonté, autrement
dit par un bon plaisir absolu, mais par la nature absolue de Dieu, c’est-à-dire
sa puissance infinie ». Le déterminisme se présente donc ici comme
présupposé, et la liberté de la volonté est comprimée dans la nécessité de la
substance divine. Partout, la nature divine absolue exprime sa puissance, ou
encore sa cause infinie : de fait, « Dieu est cause immanente, mais
non transitive, de toutes choses » (Livre I, Proposition 18). [5] Au
terme de cette réflexion, la liberté apparaît comme l’illusion d’être libre, car
les hommes, s’ils sont conscients de leurs actions, « sont ignorants des
causes par où ils sont déterminés ; ce qui constitue donc leur idée de la
liberté, c’est qu’ils ne connaissent aucune cause de leurs actions » (Livre
II, Proposition 35, Scolie).
Au terme de ce premier épisode, Hegel aurait
donc raison. Mais c’est justement ici que le cadre du déterminisme commence à
être bousculé, et que Hegel commence à ne plus avoir raison. Si la liberté est
une illusion, il s’agit en effet de comprendre s’il existe une voie permettant
de dépasser l’illusion et de parvenir au cœur de la vérité : et par là de
donner un sens nouveau à la liberté. Il n’est pas rare de voir le philosophe
panthéiste se poser cette question. Et la chose advient ici avec une force
impressionnante : le panthéisme perd toute dimension catatonique, et le
matérialisme spinoziste, « prudent » mais non moins puissant, émerge
au grand jour. Premier geste de respiration ? Peut-être. Mais venons en au
fait. C’est entre les Propositions 41 et 49 du Livre II de l’Ethique qu’un premier passage s’effectue. Le raisonnement est
simple : lorsque nous saisissons des idées adéquates, c’est-à-dire
exprimant le vrai, la raison perçoit l’être selon « un certain aspect
d’éternité ». Ici, « la volonté et l’entendement sont une seule et
même chose » (Livre II, Proposition 49, Corollaire) : autrement dit,
la volonté se réinstalle sur le terrain ontologique d’où l’avait chassée
l’illusion du libre arbitre. [6] Que se
passe t-il en effet ? Il se passe qu’avec cette reconnaissance de
l’éternité, la volonté (au moment même où elle confirme lui être ontologiquement
intrinsèque), retire à l’entendement son statut privilégié de destructeur de
l’illusion. C’est maintenant la volonté elle-même qui renverse l’illusion de la
liberté, c’est la volonté elle-même qui se nourrit de l’éternel. Mais si Dieu
est la production de l’être, et la vérité la reconnaissance de cette production,
la volonté (et une liberté vraie) prendra maintenant place sur ce terrain de la
production de l’être déployé par la divinité. Sous un « aspect
d’éternité », la volonté se découvre comme une machine de vérité, sans
quitter le cadre du déterminisme absolu des séquences de l’être. [7]
Poursuivant la lecture, nous trouverons d’autres moments, de plus en plus
vastes, de respiration de la liberté. Nous avons déjà vu en quoi consistait le
décentrement essentiel : après avoir été soumise à l’entendement, la
volonté est maintenant posée à sa base. Dans le Livre III de l’Éthique, ce décentrement est davantage spécifié, ou plutôt se
déploie comme dispositif constitutif. Volonté et liberté passent en effet l’une
dans l’autre, au fil des transformations de la cupiditas, qui
d’appetitus se fait amor par un mouvement de
croissance (« d’augmentation de puissance »). Le Scolie de la
Proposition 47, et plus généralement tout ce moment du Livre III, nous
introduisent à ce passage en nous montrant comment volonté et liberté se
conditionnent l’une l’autre dans ce processus de libération, ou plutôt de
constitution ontologique dans la joie de la liberté. Toute la suite de l’Éthique
ne fera désormais qu’approfondir ce processus. Nous prendrons trois
exemples : les Propositions 49 du Livre III, 11 du Livre IV, et 5 du Livre
V. Le premier passage nous indique que chez l’homme, la passion pour la liberté
est plus puissante que la conscience de la nécessité. Mais le second corrige et
complète cette indication, en nous montrant que la libre passion pour une chose
nécessaire peut être plus intense que celle qui se rapporte à une chose
contingente ou possible. Autre façon de dire que la passion pour la liberté n’a
rien à voir avec le contingent et avec le possible, mais a plutôt à voir avec
l’adhésion à l’absolu. En tout état de cause, les tenants d’une certaine
contradiction entre les deux premiers passages verraient le troisième révéler le
caractère purement apparent de cette contradiction. En effet, « un affect à
l’égard d’une chose que nous imaginons simplement et non comme nécessaire ni
comme possible ou comme contingente est, toutes choses égales d’ailleurs, la
plus grande qui soit. » Et nous avons ainsi (au cœur même des Livres IV et
V), la définition de l’homme libre comme celui dont le désir, naissant de la
raison, et se donnant simpliciter, ne peut avoir
d’excès. [8]
Que dire, sinon que le cadre déterministe est ici fortement ébranlé ?
Qu’ajouter, sinon qu’il n’y a là nulle trace d’acosmisme, et que, dans cette
espèce de détermination métaphysique, la constitution ontologique est
paradoxalement mise en place par la raison et l’amour, autant dire par la
liberté ? Et le panthéisme spinoziste est une véritable machine de
liberté. [9] Le
Livre V de l’Éthique ne fera que confirmer le changement de
perpective opéré entre le début et le terme du processus, où se voit affirmée
l’émancipation vécue par la liberté humaine. Jusqu’au moment où, dans le Livre
V, la liberté humaine est finalement installée dans la divinité. [10]
Le thème de l’innovation ontologique est un thème central du
matérialisme classique, où il ne parvient pas à résolution. De Démocrite à
Épicure, la construction atomiste du monde est immergée dans l’éternité. Quant à
liberté, elle est conduite éthique de la vie, jouée en termes de métaphore du
cosmos. Dans un tel aplatissement, la liberté s’éteint et l’innovation est
incompréhensible. C’est seulement chez Lucrèce que la liberté s’efforce de
rompre l’insignifiance de la métaphore et d’agir de façon autonome dans
l’ensemble physique de l’atomisme, d’imposer une déchirure de l’éternité. Et
Lucrèce s’avance toutefois sur la pointe des pieds, c’est à voix basse qu’il
introduit son clinamen, comme s’il voulait annuler la violence
de la déchirure en rendant imperceptible la déviation qui permet l’innovation.
Qui permet d’atteindre la singularité et par là le sens de la liberté. Une lueur
minuscule, et pourtant gigantesque, s’ouvre dans la pluie des atomes : la
poésie en ressort grandie et la philosophie humiliée, le problème est posé. Et
la modernité en héritera comme d’un problème non résolu.
Ce n’est que chez
Spinoza que le problème est transformé. L’ontologie du matérialisme n’est pas
chez lui interrompue par le clinamen, mais investie et
refondue par le désir. Le rythme de constitution du monde est soutenu - toutes
formes confondues - par une force vive qui se déploie dans le monde pour se
constituer comme divine. La liberté se construit dans ce développement
ontologique, dont elle interprète la continuité, dans l’absolue immanence
productive d’une vis viva se déployant du conatus physique à la cupiditas humaine puis à
l’amor divin. L’éthique constitue le monde physique avant
d’interpréter (d’agir) le monde humain et d’atteindre (de se découvrir dans) le
monde divin. L’éternité est vécue comme présence et là, dans cette présence,
liberté et innovation, éthique et ontologie construisent ensemble le monde. Ou
plutôt, comme dirait Spinoza, elles « s’efforcent » de le faire.
Du
matérialisme antique à celui de Spinoza, le problème connaît un puissant
déplacement. Le problème de l’innovation n’est plus en effet posé en tant que
déviation du cours de la vie, mais dans l’horizon de l’éternité. L’immanence
absolue est le dynamisme de la vie, et donne à la vie sa puissance. La
singularité commence à se profiler dans l’océan de l’être, ou, si l’on veut, à
se révéler dans la dynamique d’ensemble de la téléologie matérialiste. Mais si
radical soit-il, ce décentrement suffit il à résoudre le problème ? Une
physique du désir suffit-elle à donner à l’éternité la figure de la
liberté ? Suffit-elle à imprimer au monde la discontinuité de
l’innovation ? Et donc à dépasser les apories, si lourdes et si monotones,
du matérialisme ? L’ascèse spinoziste a quelque chose du coup de force.
Elle impose en effet l’immanence comme seul horizon (singulier et concret) du
discours matérialiste, et y installe la force de la vie. La liberté y est
affirmée comme libération. Tout cela étant précisé, il convient pourtant
d’ajouter que l’ascèse spinoziste est incapable de donner un sens plein à sa
propre progression. Comme Lucrèce autrefois, Spinoza s’en remet, pour avancer, à
une série d’imperceptibles sauts qualitatifs, visant à rompre tous les blocages,
toutes les limites qui s’opposent à la liberté. Entre physique, éthique et
théologie, on se meut ainsi chez Spinoza avec la même incertitude que celle
affectant déjà l’être (et le clinamen) dans la turbulence
atomique de Lucrèce.
Dans les eaux glacées de la froide nécessité du donné,
d’un matérialisme « quasi » transcendantal, la modification introduite
par le spinozisme est encore trop prudente, pour ne pas dire insignifiante. Une
fois de plus en effet, aucun sens créateur n’est donné à la progression du réel,
à l’unité de l’innovation et de l’éternité. Car le problème est bien là. Il
s’agit de produire la liberté de la même façon que l’éternité, et d’en faire non
un fade résultat, mais la clef active de la construction/reconstruction du
monde. Au lieu de cela, on voit malgré tout réapparaître subrepticement, dans
ces philosophies de l’immanence absolue, une nécessité qui se veut axiologique,
une image présupposée du monde. La téléologie classique et chrétienne répand son
venin transcendantal (et même assurément transcendant) sur la radicalité de la
procédure matérialiste. La liberté (lorsqu’elle accoste l’éternité) est encore
brisée par une détermination externe, par un ordre, par une mesure, par une
identité venus d’ailleurs (et l’on ne sait pas d’où). Dans la modernité, pendant
la période de l’ascèse humaniste, un certain aspect de transcendance axiologique
(et un fantasme de transcendantalisme ontologique) parvient à se glisser jusque
dans les plus puissantes des téléologies matérialistes.
L’Éthique de Spinoza est prise dans ces conditions de
développement. Et s’il est vrai, nous l’avons vu ailleurs, que la causalité
spinoziste est soumise à la nature aléatoire de la surface (toute nécessité
interne écartée, toute finalité ignorée), pour la simple raison que seul l’effet
qualifie la cause - nous n’en devons pas moins reconnaître que le formidable
bond en avant que Spinoza fait faire à la philosophie moderne dans son
ensemble [11],
est finalement stoppé par la nécessité d’un ordre et/ou d’une mesure préétablis.
Et s’il est vrai, nous l’avons vu, que la liberté se construit chez Spinoza à
travers le désir (dans les diverses figures naturelles et intellectuelles qui le
représentent), et qu’en conséquence rien d’autre ne la conditionne que la
passion donnée dans sa nudité - il n’en reste pas moins que la liberté se
referme sur une idée de béatitude mystifiante et abstraite. Pour le dire
autrement, si le déterminisme produit par le matérialisme de l’antiquité est
résolument dépassé par Spinoza (nous l’avons vu dans la première partie de cet
article), on en voit encore l’ombre planer sur l’Éthique,
marquée du sceau (évanescent mais pourtant bien réel) d’un ordre et d’une mesure
qui se veulent transcendantaux. Le problème de la liberté serait il donc
vraiment insoluble, du point de vue d’une approche matérialiste des thèmes de
l’éthique et de l’ontologie ?
Une fois établies les limites intrinsèques de la conception
spinoziste de la liberté, dans le cadre des obstacles opposés par la tradition
matérialiste à la solution de ces problèmes, il n’en est pas moins possible de
définir un autre point de vue, ou plutôt d’entrer par une autre entrée dans le
champ problématique (et matérialiste) de la liberté spinoziste. Il y a en effet
déjà quelque temps que les spécialistes nous ont révélé les nombreux plis de
l’« expérience » de Spinoza, qui nous permettent non seulement de
suivre le cheminement déductif et « géométrique » de son oeuvre, mais
encore d’en dérouler la complexité, ou plutôt la
« prolixité » [12]. Et
c’est bien dans une telle perspective que, procédant par le bas, à partir
justement de l’« expérience » spinoziste, il nous sera probablement
possible d’échapper aux limites analysées plus haut de la conception spinoziste
de la liberté : il nous sera possible de suivre le cheminement de la
liberté et de l’innovation ontologique dans son immédiateté. La question n’est
plus alors : qu’est ce que la liberté ?, mais : qui est
libre ? Ou encore : comment, dans l’expérience de la singularité,
liberté et nécessité sont elles intriquées ? Comment cette intrication
devient-elle un rapport singulier de l’âme et de la nature ? Qui voudrait
nous opposer ici une objection de principe, pourrait sans aucun doute en appeler
au tribunal du « parallélisme » métaphysique, et nous accuser
d’oublier la préconstitution logique de la singularité et sa préfiguration
ontologique (dans le parallélisme, justement, si l’on veut en faire le verrou de
l’édifice théorique spinoziste). Mais sans oublier tout cela, il n’en reste pas
moins possible de saisir ces intrications (plutôt que dans leur violente
conjonction transcendantale) dans la dynamique de la singularité, de la vie,
dans la généalogie de la liberté. [13]
Il y a dans l’Éthique un épisode, quelque peu paradooxal,
qui peut nous permettre d’avancer dans le sens de la singularisation :
c’est le discours spinoziste sur le « rire ». Et l’on nous permettra
de rappeler que le rire - celui qui est posé par Spinoza à l’un des moments
clefs de sa phénoménologie des passions - est de plus en plus souvent considéré
aujourd’hui comme un lieu de révélation ontologique et/ou d’affrontement, dans
le travail de définition de la singularité. [14]
Mais revenons à Spinoza. Le rire a plusieurs fonctions chez Spinoza, et en
particulier dans l’Éthique. La première est celle qui nous le
montre comme une arme fondamentale de la liberté : le rire nous permet de
nous opposer à la superstition, de la tourner en dérision et de nous libérer
ainsi de la peur, à la fois source, aliment et schème de la superstition. Nous
trouvons dans le Scolie du Corollaire 2 de la Proposition 45 du Livre IV un très
bel exemple de ce rire : « Le rire, comme le jeu, est pure
joie », et « seule assurément une farouche et triste superstition
interdit de prendre des plaisirs… Aucune divinité, nul autre qu’un envieux, ne
prend plaisir à mon impuissance et à ma peine, nul autre ne tient pour vertu nos
larmes, nos sanglots, notre crainte et autres marques d’impuissance
intérieure ; au contraire, plus grande est la joie dont nous sommes
affectés, plus grande est la perfection à laquelle nous passons, plus il est
nécessaire que nous participions de la nature divine. Il est donc d’un homme
sage d’user des choses et d’y prendre plaisir autant qu’on le peut ». Mais
cela ne suffit pas. Par-delà cette fonction polémique, ou peut-être en raison de
la force qu’elle exprime, nous pouvons saisir la véritable fonction ontologique
du rire, puisqu’il dispose à la fois le corps et l’âme - en une incitation
radicale - à atteindre ce très haut degré de la vertu qu’est la Laetitia (c’est-à-dire la Joie). Le rire exerce donc, dans la
phénoménologie spinoziste des passions, une fonction centrale, constituant les
dynamiques dans lesquelles sont prises l’âme et la nature, autrement dit la
liberté et la nécessité. [15]
Voyons donc (brièvement mais précisément) comment s’articule le discours
spinoziste sur le rire. Nous voilà au Livre IV de l’Éthique,
au centre de cette étrange phénoménologie des passions qui nous décrit comme une
surabondance du développement de l’être. Spinoza en arrive à se demander comment
la liberté parvient à se disposer sur la trame de l’appétit qui conduit l’homme
vers le souverain bien. Sa première détermination est celle de la joie.
« La Joie est un affect par lequel la puissance d’agir du corps est accrue
ou secondée ; la Tristesse, au contraire, un affect par lequel la puissance
d’agir du corps est diminuée ou réduite ; et, par suite, la Joie est bonne
directement » (Livre IV, Proposition 41, Scolie). Mais cela ne suffit pas.
La Joie, en tant qu’elle se rapporte au corps, nous l’appelons Hilaritas. Spinoza nous avait déjà défini l’Hilaritas comme une « excitation agréable » Titillatio) [16]
dans le Scolie de la Proposition XI du Livre III : comme « un affect
de Joie rapporté simultanément à l’Ame et au Corps » ; désormais
cependant, tout en conservant cette implication, il distingue le Rire de la Titillatio et le fait primer sur elle, car si cette dernière est
partielle, il implique quant à lui toutes les parties du corps de façon
homogène… Le Rire nous apparaît donc, ou plutôt est une passion constitutive
d’être, qui se pose au croisement des lignes parallèles qui parcourent la
substance, dont il détermine un équilibre puissant. Si donc la
« Titillatio » (c’est-à-dire l’« excitation agréable »)
« peut avoir de l’excès et être mauvaise » (Proposition 43), l’Hilaritas ne peut avoir d’excès mais est toujours bonne »
(Proposition 42). Quelles que soient les limites, les précautions et les
réserves émises par Spinoza [17],
nous avons conscience (et nous apprécions avec notre âme cette conscience que
nous construisons avec notre corps) d’être plongés dans la production de
singularités, là d’où émane, de mille points à la fois, le processus matériel
constitutif de l’être. Le Rire est donc ici perfection du corps et de l’âme - et
nous comprenons par là pourquoi c’est ici que se met en place sa capacité de
démystifier la superstition (comme nous l’avons vu en parlant du Scolie du
Corollaire 2 de la Proposition 45 du Livre IV). Et de développer la liberté.
« Qui sait droitement que tout suit de la nécessité de la nature divine… ne
trouvera certes rien qui soit digne de Haine, de Raillerie ou de Mépris, et il
n’aura de commisération pour personne ; mais autant que le permet l’humaine
vertu, il s’efforcera de bien faire, comme on dit, et de se tenir en joie »
(Livre IV, Propositon 5o, Scolie). Liberté, c’est-à dire libération à l’égard de
toutes les passions tristes, qui bloquent la créativité de l’être - à l’égard de
la Haine, de la Raillerie, du Mépris, nous l’avons vu, mais aussi de la Crainte
et de l’Espoir (Proposition 47), de l’Indignation (Proposition 51, Scolie), de
l’Humilité (Proposition 53), du Repentir (Proposition 54)… Et l’on pourrait
continuer, comme nous le ferons partiellement un peu plus loin.
Qui est donc
libre ? Un élément de définition nous est ici donné, qui n’est pas en
rupture avec l’ensemble du système spinoziste, mais qui est assurément différent
des paramètres traditionnels du système matérialiste de la Nature : comme
l’anticipation d’un topos faustien, de ce matérialisme des
Lumières dont rêvera Diderot [18].
Nous nous étions proposés d’identifier un lieu d’où pouvait émaner, par le bas,
la puissance novatrice immanente de l’âme et du corps, l’invention de la vie,
l’événement dans sa singularité : la thématique du rire nous semble y
correspondre… prendre le problème à pleines dents. Sacré Spinoza ! Toujours
capable de renverser les lectures établies de sa pensée… Et de nous offrir ici
un point de vue éthique et ontologique permettant à la pensée matérialiste de
s’écarter des sillons tout tracés où la modernité avait entraîné la liberté.
N’est-il pas excessif (ou du moins partiellement criticable d’un
point de vue philologique) de miser sur le « rire » pour saisir une
voie de subjectivation au sein de l’Éthique de Spinoza ?
Nous admettrons volontiers que tout cela est un peu paradoxal. Et
pourtant…
Et pourtant il y a dans l’Éthique toute entière,
et en particulier dans le Livre IV, une pression continue pour trouver des voies
de subjectivation, pour reconstruire par le bas l’ordre du monde, à partir de la
puissance de l’agir éthique (individuel ou collectif, mais toujours singulier).
Si le panthéisme spinoziste est devenu le destin du matérialisme philosophique,
c’est justement parce que dans la pensée moderne, dans son moment le plus
intense, celui qui va de la crise de la Renaissance aux Lumières, Spinoza a été
le seul a assumer la tâche de « remettre sur ses pieds » la
philosophie. Ce n’est en effet pas un hasard si, avant d’en arriver au
« rire », le Livre IV de l’Éthique nous fait
assister à la fondation du concept démocratique d’État, c’est-à-dire à la
subjectivation collective du politique, dans l’ensemble formé par les
Propositions 37 à 40, qui tournent autour de la constitution d’un corps et d’une
âme dans lesquels « tout est à tous ». Nous pensons sans doute (comme
d’ailleurs le pensait Spinoza) que la définition de la démocratie, et plus
généralement les avancées opérées sur le terrain d’une politique
« absolument » démocratique, constituent l’honneur de la métaphysique
(quand parler de politique revient donc à parler de liberté) - mais ce faisant,
nous sous-évaluons le problème de la subjectivation chez Spinoza. Chez lui en
effet, la thématique politique et démocratique est certes fondamentale :
mais plus fondamentale encore est la solution apportée à un problème posé par le
matérialisme, et dont nous avons vu à quel point il était central dans l’Éthique : le problème de la subjectivisation comme
innovation de l’être. La solution par le politique paraît à Spinoza la plus
simple (et il la parcourt toute entière) [19].
Mais cela ne suffit pas : la liberté doit se découvrir comme force
constituante, la libération doit se construire comme puissance, la production de
subjectivité doit être reconnue comme machine ontologique. Et c’est ainsi
qu’après avoir constitué le politique, Spinoza se met à travailler autour du
thème de la subjectivation, s’avançant ainsi, nous l’avons vu, dans cette
phénoménologie des passions qui fait de la découverte de l’Hilaritas une de ses articulations productives. Spinoza reconnaît
donc au processus de subjectivation (c’est-à-dire d’identification, autour du
sujet, de la matrice d’innovation de l’être), une intensité ontologique
fondamentale pour le processus, c’est-à-dire dans l’« expérience » qui
conduit l’homme à la libération.
Nous trouvons dans un ouvrage récent de
Laurent Bove, La stratégie du conatus [20],
une des tentatives les plus réussies de montrer que l’Éthique
est en réalité organisée à travers une série de décisions stratégiques du conatus, qui construisent une ontologie dynamique, ou encore
disposent ontologiquement une série d’« actes d’affirmation ». Le sens
de ce mouvement est celui d’une réalisation de ce à quoi chacun (sin gu larité
individuelle ou collective) est tenu par sa nature - ce qui débouche sur une
téléologie paradoxale : celle définie par l’acquiescentia in
se ipso, c’est-à-dire construite par la résistance (insistance) de la
subjectivité (individuelle ou collective). Dans le cadre de cette stratégie, la
théorie spinoziste des affects est revisitée par Laurent Bove autour de deux
temps forts : l’Habitudo dans le Traité
théologico-politique, et l’Hilaritas dans l’Éthique. Ce que ces deux catégories ont en commun, c’est de
mettre ensemble âme et nature, liberté et nécessité, au moment où vient à se
produire de l’être subjectif (collectif ou individuel). Ces catégories ouvrent
donc (ou plutôt ferment) le parallélisme métaphysique par le bas, à partir du
procès constitutif, et saisissent la décision subjective (individuelle ou
collective) comme la puissante clef d’innovation de l’être.
Cette
démonstration me paraît correspondre entièrement à ce que j’ai jusqu’ici énoncé.
Mais je me permettrai de suggérer un léger pas en avant (s’il s’agit bien d’un
pas en avant, libre à chacun d’en juger ensuite). Au terme de puissance
« affirmative », je voudrais substituer celui de puissance
« constitutive ». Je m’explique. Si nous revenons à la Proposition 44
du Livre IV, celle qui conclut l’analyse qui, à travers l’Hilaritas, avait constitué le nouveau régime (ou la nouvelle
stratégie) des affects, nous apprenons que « l’Amour et le Désir peuvent
avoir de l’excès ». La Démonstration repose sur le fait que l’Amour et le
Désir peuvent avoir une cause extérieure, et donc cesser d’être leur propre
mesure. Pourtant, une fois achevé le développement consacré à la Joie, nous
sommes confrontés à une nouvelle Définition : « Un Désir qui naît de
la Raison ne peut avoir d’excès » (Livre IV, Proposition 61). Qu’il n’y ait
là aucune contradiction avec la Proposition 44, la Démonstration suffit à nous
le montrer, qui nous présente « ce » désir, contrairement à
l’« autre », comme une expression directe de l’essence, ou de la
nature de l’homme. Elle n’a donc pas d’excès parce qu’elle n’a pas d’extérieur
(pas de cause externe lui ôtant sa puissance expressive). Tel est bien le
problème : que signifie ne pas avoir d’extérieur ? Que signifie être
« autonome » ? S’agit-il d’une pure expérience
« affirmative » (d’une autodéclaration de l’essence), ou d’une
expérience « constitutive » (d’une expression d’être, d’une
innovation) ? « Ne pas avoir d’excès » signifie-t-il que le Désir
est ramené à la naturalité, à la dimension statique de l’essence, ou ce
« ne pas avoir d’excès » signifie-t-il désir en Excès [21],
autonome et constitutif, « puissance de désir » ?
Le lecteur
aura compris de lui-même quelle est ici ma réponse [22].
Qui est, me semble-t-il, celle de Spinoza lui même. Il suffit de lire les
Propositions suivantes. Livre IV, Proposition 63 : « Qui est dirigé
par la Crainte et fait ce qui est bon pour éviter un mal, n’est pas conduit par
la Raison ». Proposition 64 : « La connaissance du mal est une
connaissance inadéquate ». Proposition 67 : « Un homme libre ne
pense à aucune chose moins qu’à la mort, et sa sagesse est une méditation non de
la mort, mais de la vie ». Proposition 68 : « Si les hommes
naissaient libres, ils ne formeraient aucun concept du bien et du mal aussi
longtemps qu’ils seraient libres ».
« Remettre sur ses pieds »
la philosophie matérialiste, c’est donc « renverser » l’expérience du
matérialisme classique, sa froide affirmation de la nécessité, c’est saisir dans
la Proposition 61 du Livre IV, la signification de ce naître (ex
ratione oritur) : il transforme la liberté en puissance, mieux, il
absolutise le désir, face à toute possibilité de négation, face à la négation de
sa puissance d’agir, qui est donc « manque de puissance » (c’est la
définition du mal). Ce qui est affirmatif et donc ici, simplement et totalement
(« simpliciter ») constitutif. La Nature, à laquelle se réfère le
vouloir de la raison, a été toute entière constituée. La Nature, loin d’être un
modèle, est un produit de la liberté. L’éternité de la Nature découle de la
productivité des singularités, de la liberté des Ames qui produisent et
constituent l’être : ainsi conclut (entre autres choses) Spinoza :
« Qui a un Corps possédant un très grand nombre d’aptitudes, la plus grande
partie de son Ame est éternelle » (Livre V, Proposition 39). [23]
Et, pour finir, quelques divagations.
« 613. Dans le sens
où je puis toujours provoquer quelque chose (par exemple des maux d’estomac à
force de trop manger) je puis également provoquer le vouloir. Dans ce sens je
provoque le vouloir-nager du fait que je saute dans l’eau. Je voulais dire sans
doute que je ne puis vouloir le vouloir ; c’est-à-dire qu’il n’y a pas de
sens à parler du vouloir-vouloir. « Vouloir » n’est pas le nom pour
une action et donc non plus pour une action volontaire. Et mon expression
erronée… » [24].
Stimulé par de très profondes réminiscences philosophiques (l’indiscernabilité
des causes et des effets) Wittgenstein ouvre par ces mots sa recherche sur le
« libre arbitre », refusant ainsi toute consistance au problème. Il
n’y a pas lieu de suivre ici son argumentation : nous nous contenterons de
souligner sa conclusion : « 654. Notre faute (notre erreur) est de
rechercher une explication là où nous devrions concevoir les faits en tant que
« phénomènes originaires ». Là où nous devrions dire : tel jeu de
langage se joue ». Chez Wittgenstein, l’impossibilité de distinguer la
cause de l’effet, dans le mécanisme des passions, est donc - si l’on veut -
parfaitement spinoziste. Mais la différence saute aux yeux : le
« phénomène originaire » et le jeu ne sont pas joyeux (ni productifs),
alors qu’ils le sont pour Spinoza. Chez Spinoza, la joie se confond avec
l’origine : et quelle origine ! La libération est un jeu, nous raconte
Spinoza, dans lequel le vouloir « pénétrant » se déploie tout entier
sur notre intellect, et le soutient dans son ouverture à l’absolu, ou plutôt l’y
conduit, simplement, dans la joie. Chez Wittgenstein, au contraire, la joie est
souvent triste, passion triste. En démystifiant le libre arbitre avec une
argumentation spinoziste, Wittgenstein ne comprend peut-être pas ce qui est
fondamental chez Spinoza : l’être en Excès qui est uni à l’expression de la
liberté, la joie qui couronne l’expression de la liberté. Si donc « ce
célèbre humoriste vivait aujourd’hui, il mourrait certainement de
rire » [25] en
entendant dire que la volonté est originaire, mais sans joie.
Il existe
pourtant, ce célèbre humoriste, ce héros ironique qui transforme les
hiéroglyphes analytiques de Wittgenstein en prose biopolitique, et nous le
connaissons. Et le voilà qui nous propose, incidemment sans doute, son point de
vue sur toute la question. « A point, live dog, grew into sight… Respect
his liberty. You will not be master of others or their slave. I have a stick.
Sit tight. The dog’s bark ran towards him, stopped, ran back. Dog of my enemy. I
just simply stood pale, silent, bayed about. Terribilia meditans »
(« Un point vivant grossit, galope à travers l’arène sablonneuse, un chien.
Bon Dieu, va-t-il venir me mordre ? Respectons sa liberté. Tu ne seras pas
le maître des autres ni leur esclave. J’ai ma canne. Ne bougeons plus. Dans
l’éloignement, remontant du flot coiffé d’écume vers la terre ferme, des
silhouettes, deux. Les deux saintes femmes. Elles ont dissimulé la chose dans
les roseaux. Coucou, je vous vois ! Non, le chien. Il court les rejoindre.
Qui ?…. L’aboiement du chien se rapprochait, s’arrêtait, s’éloignait. Chien
de mon ennemi. Je n’ai fait que rester debout, pâle, silencieux, aux abois. Terribilia meditans » [26].
Nous pouvons peut-être conclure ces réflexions trop limitées sur les
interprétations opposées du couple liberté/nécessité chez Spinoza, par un
commentaire de ce célèbre passage d’Ulysse. En prêtant donc attention au jeu
littéraire. Entre la vision lointaine d’un chien en colère et la configuration
d’un danger proche viennent en effet s’agglomérer d’autres images fantastiques
(que nous ne pouvons reprendre ici) : celles du débarquement des terribles
Danois (les Vikings) sur la même plage dublinoise et de sa kyrielle de massacres
et d’horreurs. Puis, dans l’attente du danger, jaillit le souvenir tourmenté, le
cauchemar de la mort de la mère - grand choc de l’imaginaire (et de la liberté)
de Joyce. Et nous voilà revenus dans une situation spinoziste : au cœur
d’une nécessité venue de loin et enveloppant toute chose, face au danger, le
choix de la liberté surgit comme acte intempestif. L’effet et la cause se
donnent en s’enroulant. Terribilia meditans, je m’arme d’un
bâton, pour me défendre du chien méchant qui s’avance - je respecte sa liberté
mais je défends la mienne, ajoute l’ironie joycienne.
La liberté serait elle
l’art du bâton, toujours recommencé ? Dans la philosophie politique de
Spinoza, elle l’a été. Elle l’est encore ici, au pays de l’Hilaritas, autour de l’effort accompli par l’accouplement de
l’âme et du corps - copule productrice d’être, elle l’est encore comme
résistance, comme capacité de répondre au danger : mais elle ne l’est plus
(et cette transformation a d’ailleurs également lieu dans la philosophie
politique, à des rythmes et dans des formes divers), car cette résistance,
intempestive, est désormais en Excès sur la causalité, effet triomphant de la
cause et rénovant le rythme nécessaire de la production du monde. Donnez-moi un
levier et je souleverai le monde, donnez-moi un bâton et je redimensionnerai la
peur hobbesienne, donnez-moi un jeu et je détruirai toute fiction, donnez-moi un
outil et je réinventerai l’être. Difficile d’exprimer le matérialisme de façon
plus efficace ; je veux dire la liberté du et dans le matérialisme. Donnez
moi un outil : une prothèse du corps et de l’âme qui puisse forcer le
monde, le faire passer du manque à l’Excès d’être ; construisons la liberté
comme excès ontologique. Spinoza a défini la liberté comme innovation,
l’innovation comme liberté, et la liberté et l’innovation comme constitution
ontologique en Excès : il a ainsi traduit le clinamen du
matérialisme antique dans le langage moderne de la production.
Peut-être
Spinoza, tel Wittgenstein et Joyce, nous offre-t-il ainsi quelques matériaux
pour aller au-delà de la modernité.
TRADUIT DE L’ITALIEN PAR FRANÇOIS MATHERON
[1] Sans ajouter grand chose à ce que j’ai pu écrire sur Spinoza de 1981 à 1998, textes aujourd’hui regroupés dans A. Negri, Spinoza, Derive Approdi, 1998. Dans « Democrazia et eternità in Spinoza », inclus dans ce volume, j’ai mené une profonde autocritique de la trop rigide périodisation de la pensée spinoziste et de ses contradictions proposée dans L’anomalie sauvage (traduction française, Paris, PUF, 1982).
[2] Ce que Hegel a lu de Spinoza (et le milieu culturel dans lequel il l’a fait) est bien mis en évidence dans F. Chiereghin, L’influenza dello spinozismo nella formazione della filosopfia hegeliana, Cedam, Padoue, 1961. Ce que Hegel n’a pas lu de Spinoza est systématiquement relevé dans le commentaire de M. Gueroult , Spinoza, I et II, Paris, Aubier-Montaigne, 1968 et 1974.
[3] G. Deleuze, Spinoza et le problème de l’expression, Paris, éd. de Minuit, 1968, et Spinoza. Philosophie pratique, Paris, éd. de Minuit, 1981.
[4] L’Éthique sera citée dans la traduction Appuhn, parfois modifiée (note du traducteur).
[5] La même idée est déjà exprimée dans le Corollaire II et dans le Scolie de la Proposition 17, et, auparavant, dans les Propositions 7 et 8 (Scolie II) ; elle sera réaffirmée dans la Proposition 35.
[6] Cf. Éthique, Livre II, Propositions 48-49 (y compris, dans les deux cas, Démonstration et Scolie). Cf. Pierre Macherey, Introduction à l’Éthique de Spinoza. La seconde partie : « La réalité mentale », Paris, PUF, 1997, pp. 367-407.
[7] Pour les lieux où ce problème est posé et traité par Spinoza, je me permets de renvoyer à nouveau à mon article « Democrazia e eternità in Spinoza ».
[8] Éthique, IV, Propositions 61 sq. Cf. P. Macherey, Introduction… La quatrième partie. « La condition humaine », Paris, PUF, 1997, p. 321-431.
[9] Sur l’apologie de l’homme libre, cf. Éthique, IV, Propositions 68 à 73, où sont également posées les bases d’une pleine réalisation de la liberté politique. Sur ces Propositions, cf. P. Macherey, op. cit.
[10] Cf. Éthique, V, Propositions 10 et Scolie, 22, 29 et Scolie, 42 ; cf. également G. Deleuze, op. cit., A. Matheron, Individu et communauté chez Spinoza, Paris, éd. de Minuit, 1969, et M. Chaui, O Nervura do Real, Imanéncia e Liberdade em Spinoza, Sao Paolo, Companhia das Letras, 1999.
[11] Nietzsche est peut être celui qui s’en est le mieux rendu compte. Sur la rupture spinoziste, cf. mon article « Spinoza e i postmoderni » in Spinoza, op. cit.
[12] Voir P.F. Moreau, Spinoza. L’expérience et l’éternité, Paris, PUF, 1994. Cet ouvrage est sans conteste le plus important de la nouvelle génération d’études spinoziste, après le travail de refondation de la critique spinoziste accompli dans les années 1960-1970.
[13] G. Deleuze, op. cit., souligne à maintes reprises que l’on peut suivre l’argumentation spinoziste selon deux lignes directrices : celle de l’enchaînement formel des Propositions, ou celle des discussions informelles déployées dans les Scolies. Cette remarque deleuzienne (souvent confirmée par le critique) me paraît susceptible d’être interprétée de façon plus large que ceux d’une simple différence philosophique entre Propositions et Scolies.
[14] Cf. par exemple G. Deleuze, « L’éclat de rire de Nietzsche » in Nietzsche aujourd’hui, UGE, 1973. Pour une vision contraire, cf. G. Bataille, dont la position est bien exposée dans M. Perniola, Philosophia sexualis. Scritti su Georges Bataille, Verone, Ombrecorte, 1998, en particulier p. 132 sq. Sur le cadre historique de la conception négative du rire dans la tradition médiévale de l’Église, cf. Le Goff, Un autre Moyen Age, Paris, Gallimard, 1999, et en particulier « Le rire au moyen âge », p. 1343 sq. et « Le rire dans les règles monastiques du haut moyen âge », p. 11357 sq.
[15] Sur le rire comme puissance constitutive (et donc contre la conception du rire défendue par Bergson dans Le rire), cf. Michel de Certeau, « Le rire de Michel Foucault », in Revue des Bbliothèques nationales, 1985.
[16] Pour la traduction, très controversée, de titillatio, cf. la note d’E. Giancotti, pp. 400-401 de sa traduction italienne de l’Éthique (Rome, Editori Riuniti, 1998). P. Macherey, qui conserve la traduction traditionnelle de « chatouillement », tout à fait inappropriée, intervient avec beaucoup d’à propos sur l’interprétation sur ce concept in Introduction… Troisième partie. « La vie affective », Paris, PUF, 1995, p. 120 sq.
[17] Cf. surtout Livre III, Proposition 59, Scolie, et Livre III, Définition des Affects, Explication de la Définition III.
[18] D. Diderot, Le rêve de d’Alembert, éd. P. Vernières, Paris, Garnier, 1961 ; cf. P. Vernières, Spinoza et la pensée française avant la Révolution, Paris, PUF, 1954.
[19] Ethique, Livre III, Proposition 37-40. Cf. sur ce point L’anomalie sauvage, op. cit.
[20] L. Bove, La stratégie du conatus. Affirmation et résistance chez Spinoza, Paris, Vrin, 1996.
[21] Nous traduisons eccedenza par « Excès », et eccesso par « excès » (note du traducteur).
[22] Dans les interprétations qui se sont succédées à partir de la fin des années soixante, chez Deleuze comme chez Matheron, l’expérience de la potentia spinoziste a principalement été interprétée comme Excès ontologique. Ce qui ne veut pas dire qu’un certain naturalisme (et donc une idée transcendantale de mesure et d’ordre) ne demeure pas présent chez Spinoza, comme nous l’avons d’ailleurs fortement souligné dans la seconde partie de cet article.
[23] Ou encore : « Dans cette vie donc nous faisons effort avant tout pour que le Corps de l’enfance se change, autant que sa nature le souffre et qu’il lui convient, en un autre ayant un très grand nombre d’aptitudes et se rapportant à une Ame consciente au plus haut point d’elle-même et de Dieu, et telle que tout ce qui se rapporte à sa mémoire ou à son imagination soit presque insignifiant relativement à l’entendement » (Livre V, Proposition 39, Scolie). Et déjà : « la mort est d’autant moins nuisible qu’il y a dans l’Ame plus de connaissance claire et distincte et conséquemment d’amour de Dieu. De plus, puisque du troisième genre de connaissance naît le contentement le plus élevé qu’il puisse y avoir, l’Ame humaine peut être, suit-il de là, d’une nature telle que la partie d’elle-même périssant, comme nous l’avons montré, avec le Corps, soit insignifiante relativement à celle qui demeure » (Livre V, Proposition 38, Scolie).
[24] L. Wittgenstein, Investigations philosophiques, in Tractatus logico-philososophicus, suivi d’Investigations philosophiques, Paris, Gallimard, 1961.
[25] Spinoza, Lettre XXX à Oldenbourg.
[26] J. Joyce, Ulysse, Oxford U. P, p. 45 (traduction française, Paris, Gallimard, 1948, p. 47).