Sous les gros titres auxquels ont droit les intermittents du spectacle, ce sont de profonds changements sociaux dans notre rapport au temps d’activité qui font surface à l’occasion du blocage d’un festival ou d’une crise de financement. La majeure du No 17 de la revue Multitudes, consacrée à « L’intermittence dans tous ses états », et coordonnée par Antonella Corsani et Maurizio Lazzarato, vise à resituer de tels symptômes au sein d’une perspective plus générale, qui montre à quel point le rapport intermittent à l’activité productive est appelé à jouer un rôle constituant en notre début de XXIe siècle. Si l’intermittence tend aujourd’hui à être perçue comme allant de pair avec précarité et galère, elle peut aussi devenir un lieu privilégie de réappropriation de la mobilité et de production du commun, dès lors qu’on parvient à en saisir les enjeux et les implications profondes. Ce numéro croise donc les analyses de sociologues du travail, de philosophes, d’économistes et d’activistes pour penser l’intermittence dans ses rapports au capitalisme post-fordiste (Pascal Nicolas-Le Strat), à la ville (Thierry Baudoin, Arnaud Le Marchand), à la société de contrôle par engagement subjectif (Philippe Zarifian), au statut de chercheur en sciences sociales (Frank Beau), aux recalculés de l’Unedic (Laurent Guilloteau), à une refondation de l’impôt (Yann Moulier Boutang), ou aux nouvelles formes de mobilisation politique (Maurizio Lazzarato). Les participants de première ligne ont bien entendu aussi la parole à travers des contributions de la Coordination des Intermittents et Précaires d’Ile de France, du collectif Precarias a la deriva, et du dispositif de production d’énonciation collective du Video lab. Au fil du dossier, la question de l’intermittence se révèle constituer la toile de fond sur laquelle prennent un sens commun les luttes actuelles des artistes du spectacle, des chômeurs, des chercheurs, des étudiants, et de tous ceux dont la stabilité salariale s’érode progressivement.
La mineure de cette livraison de Multitudes est consacrée au thème « Ville, fractures, événements », avec cinq sondages dans ce qui fait et défait la vie de l’espace urbain contemporain. La ville comme faite d’événements collectifs éphémères autant que de bâtiments pérennes (Michel Agier), dix ans d’un « squart » berlinois tendu entre création et récupération (Boris Grésillon), l’espace urbain fragmenté de l’Afrique du Sud post-apartheid (Philippe Gervais-Lambony), les non-lieux sinistrés de Jérusalem-Est (Sylvaine Bulle) et une « install-action » théâtrale investissant un quartier-limite de Bogota (Thierry Lulle) : autant d’expériences singulières qui, ensemble, aident à saisir ce qui fait vibrer, chanceler, ou se ressaisir les villes de notre monde.
Outre ces deux dossiers, la revue continue à proposer ses rubriques habituelles :
Une En-Tête Espagne de Raúl Sánchez analyse les journées de mars qui ont chamboulé la scène politique espagnole comme relevant d’une dynamique exemplaire de la puissance des multitudes ; un Insert Mayotte croise une parole de poète et une analyse politique sur la situation de l’archipel des Comores, entre gendarmes, frontières, « protection coloniale », et sans-papiers de l’intérieur ; un Hors-Champs Peter Friedl présente une interview de l’artiste Peter Friedl avec Jean-Pierre Rehm, accompagné d’un dossier d’Icônes consacré à des photographies de son projet Playgrounds et à des entretiens avec des enfants extraits de son recueil For or Five Roses ; enfin, des Liens avec l’Union Générale des Étudiants de Palestine, et avec un retour de Toni Negri sur l’importance politique et philosophique de Spinoza lu à travers ses interprètes français des dernières décennies.
Multitudes est publié par Exils et l’Association Multitudes et diffusé en librairies par la SODIS. Les abonnements et la vente directe au numéro sont gérés par Dif’ Pop 21 ter rue Voltaire 75011 Paris
Difpop : http://www.difpop.com/
Site web de Multitudes :
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