La Clef des chants

 

La Chanson dans la classe de français

 

Les Trésors de la chanson / Commencez par le commencement / ''Mais on comprend pas!'' / Le Choix des chanteurs... / ...et des chansons / Le plaisir de comprendre / Donner une vraie place à la chanson / Exercices d'écoute / Première écoute / Rétablir le texte / L'équipement / Textes à trous / Correction d'erreurs / La Compréhension du texte / L'Analyse d'une chanson / L'Exploitation linguistique / Chanter en français / De la re-création vers la création

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Le texte qui suit est essentiellement celui de mon livre, sorti en 1986 chez Polyglot Productions à Cambridge, dans le Massachusetts. Si vous l'appréciez, soyez gentil de m'envoyer ce qu'il vous aurait coûté, c'est-à-dire $8 (7 euros), ainsi que vos suggestions, ajouts, rectifications, etc. Ainsi pourrons-nous fournir quelque chose d'utile et de constamment renouvelé à tous nos collègues amateurs de la chanson. Merci d'avance.

Tout a commencé par des chansons...

Ma propre carrière de professeur de langue et littérature françaises a ses racines bien plantées dans la chanson. Classiciste parti en Allemagne pour apprendre l'allemand comme langue de recherches, je me suis trouvé dans le cadre international du célèbre Goethe-Institut, entouré d'étudiants venant de divers pays. Notre lingua franca était bien sûr l'allemand, mais il y avait également des groupes d'un même pays qui se retrouvaient le soir pour se reposer des rigueurs de six heures par jour de classe entièrement en allemand. Entre autres, les Français chantaient des chansons à la mode à ce moment-là: Milord, que Moustaki avait écrit pour Piaf, L'eau vive, de Guy Béart, deux ou trois chansons de Brassens, ainsi que des chansons de feu de camp.

C'est ainsi que j'ai amorcé mon apprentissage du français. Trois mois plus tard, la tête pleine de chansons et un petit dictionnaire de poche allemand-français à la main, j'écrivais des lettres en français à la Française qui m'avait appris ces chansons à la guitare. Trois ans plus tard, boursier Fulbright à Paris, j'ai épousé mon amie chanteuse. Depuis, je suis devenu, tout à fait par hasard, prof de français. On ne sait jamais où peut mener la chanson!

Dans ce qui suit, je voudrais partager un certain nombres d'idées et d'approches pour vous encourager à utiliser la chanson. Il se peut que pour vos étudiants aussi, tout commence par des chansons.

Les Trésors de la chanson

La chanson est un vaste domaine où il y a, comme au ciel, beaucoup de demeures. Il y en a pour tous les goûts, pour toutes les sensibilités, pour toutes les humeurs ou occasions dans la vie: des chansons à boire, des chansons d'amour, des chansons de marche, des chansons de protestation, des chansons religieuses. De même, la chanson peut jouer des rôles fort divers dans l'enseignement selon les besoins, les intérêts et les possibilités pratiques des enseignants et des apprenants.

Il est parfaitement possible de consacrer un semestre ou deux entièrement à la chanson. J'ai offert à plusieurs reprises un cours universitaire sur la chanson, soit dans son évolution depuis les troubadours et trouvères du moyen âge jusqu'aux auteurs-compositeurs-interprètes modernes, soit limitée à la chanson depuis Brassens. Dans l'un ou l'autre cas, nous n'avons pu que sélectionner quelques joyaux d'un trésor énorme et inépuisable.

Mon ami Denis Mouton, professeur à l'Ecole Polyvalente André Laurendeau à St. Hubert, sur la rive sud de Montréal, a développé une "option chanson" que les élèves (francophones) pouvaient choisir comme leur cours de français de l'année. Il a pu leur faire faire des choses étonnantes, leur donnant une appréciation active de la création artistique et de son rôle dans la cité, tout en les faisant lire et écrire autant que dans un cours plus traditionnel.

Il est évident que la plupart de ceux à qui je m'adresse ici ne vont pas pouvoir ni vouloir (au départ, du moins) baser tout un cours sur la chanson. Comment pouvez-vous profiter--et faire profiter vos élèves ou étudiants--de la chanson, tout on continuant à enseigner ce que vous êtes censé enseigner?

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Commencez par le commencement

La première chose à faire, c'est de commencer. Et pourquoi pas au commencement? Un premier pas, c'est de passer régulièrement une chanson pendant les deux ou trois minutes avant le commencement officiel de la classe. Ainsi vous ne prenez aucun temps sur le programme officiel prévu, et peut-être obligatoire, et vous pouvez déjà vous attendre à deux bénéfices.

D'abord, si vous avez bien choisi les chansons, il est probable que les élèves ou étudiants vont se mettre à arriver avant l'heure aussi, dans la mesure du possible. Ils vont se défaire tout doucement du milieu ambiant non-français (je parle ici d'une classe de français langue seconde, évidemment) et s'immerger dans la langue française de façon agréable et presque inconsciente. Il sera d'autant plus facile de "se mettre au travail" après, en français.

Un deuxième bénéfice, moins apparent mais tout aussi important, c'est que vous invitez ainsi dans votre salle de classe toute une gamme de voix et de façons de parler authentiquement françaises. Vous mettez vos élèves ou étudiants en présence d'une diversité d'intonations, de prononciations et même d'accents, diversité qui réflète la réalité du monde où l'on parle français. Vous formez ainsi les capacités réceptives de vos élèves, même s'ils ont d'abord l'impression de ne rien comprendre.

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 ''Mais on comprend pas!''

Ne pas comprendre à la première écoute d'une chanson, cela n'a rien de bien étonnant. Vous en avez sans doute l'expérience dans votre langue maternelle aussi, quelle qu'elle soit. Ce n'est pas une situation à éviter comme la peste, mais plutôt à exploiter. Il est évident que les jeunes de par le monde qui écoutent la musique américaine ou anglaise ne comprennent pas plus au départ, mais bon nombre d'entre eux ont appris l'anglais plus par la chanson que sur les bancs de l'école.

Pour la petite histoire, j'ai eu l'occasion en France de discuter avec John Lee Hooker, un bluesman américain dont j'ai moi-même du mal à saisir toutes les paroles. Ils m'a parlé d'une jeune Française, rencontrée après un de ses concerts à Nice, qui connaissaient tous ses disques par cœur!

Si vous avez eu l'occasion de flâner dans le Quartier Latin ou devant le Centre Beaubourg, vous avez entendu Bob Dylan, Cat Stevens ou les Beatles chantés sans accent non seulement par des Allemands, des Danois, des Nord-Africains, mais même par des Français!. La chanson traverse les frontières nationales, elle saute par-dessus les barrières de langue.

Exploitez donc le manque de compréhension! Si vous avez bien choisi les chansons, si la musique et la voix sont telles qu'elles accrochent l'oreille et la sensibilité, cela donne envie non seulement de les entendre, mais aussi de les écouter. Si la chanson a vraiment quelque chose à communiquer, ceux qui écoutent vont y être sensibles, même si c'est d'abord à un niveau pre-intellectuel, émotionnel, et ils vont avoir envie de les comprendre.

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Le Choix des chanteurs...

Quelques observations sur le choix des chanteurs et des chansons.

Pour des chansons que l'on voudrait par la suite exploiter sur le plan linguistique ou culturel, il est évidemment souhaitable que les paroles soient d'une part bien énoncées, et d'autre part intelligibles. Ce n'est pas toujours le cas, en particulier chez certains chanteurs ou groupes rock, où les paroles sont noyées dans une musique trop forte et envahissante.

Il est important également de commencer par des chansons qui vont avoir de bonnes chances de plaire aux apprenants, d'abord par la musique et l'interprétation (c'est ce qui est perçu d'abord), et ensuite par les paroles. Pour la plupart des gens, la chanson est un élément de divertissement et non un sujet d'étude "sérieux", et il faut, du moins au début, les prendre là où ils sont.

Dans son excellent article, "Stratégie pour une étude de la chanson française", Alain Chamberlain suggère fortement d'éviter, au départ, des chansons qui risqueraient de provoquer un "blocage socio-culturel": pour beaucoup de jeunes, l'orchestre de jazz ou les violons seraient "la musique de papa"; pour beaucoup d'étudiants étrangers, la musette ou l'accordéon se rangeraient au placard des stéréotypes touristiques avec la tour Eiffel en plastique.

Comment éviter cet écueil? Chamberlain rappelle la vieille règle pédagogique: mélanger le connu et l'inconnu avant d'arriver à l'inconnu. Choisir donc au début des chanteurs dont la musique n'est pas trop éloignée de celles que les apprenants connaissent et apprécient déjà. Pour les pays anglo-saxons&endash;et étant donné la vogue de la musique américaine et britannique, ceci est de plus en plus généralisable&endash;, cela veut dire le rock, le blues, le jazz, le folk, accompagnés de guitare électrique ou acoustique, piano, orgue ou synthétiseur, basse, et batterie.

Parmi les chanteurs qu'ils ont choisis selon ces critères en Nouvelle-Galles du Sud figurent Maxime LeForestier, Michel Polnareff, Jacques Dutronc, Yves Simon et Hughes Aufray. (Il serait bon d'y ajouter quelques noms de femmes, qui, si elles restent minoritaires, ne sont pas pour cela moins intéressantes: Mama Béa, Pauline Julien, Mannick ou Anne Sylvestre, par exemple. Si on laisse les femmes de côté, on court le risque, à la longue, de laisser de côté une partie de nos apprenants!)

Personnellement, je choisis de préférence des auteurs-compositeurs-interprètes, estimant que la communication de personne à personne va être d'autant plus forte dans leurs chansons. Ceci dit, il pourra être très intéressant, par la suite, de regarder de près le rôle de l'interprète en écoutant diverses interprétations d'une même chanson. Serge Reggiani, Yves Montand et Marc Ogeret parmi les hommes, Francesca Solleville, Juliette Gréco et Pauline Julien parmi les femmes, sont des interprètes de très grande qualité et par leur choix de chansons et par l'interprétation qu'ils en donnent.

Hart Rouge

...et des chansons

 

Comme au niveau du choix des chanteurs, il est important de choisir les premières chansons en fonction du critère du connu/inconnu, ce qui donne un accès plus facile à la chanson soit sur le plan musical, soit sur le plan du thème abordé. Si l'un ou l'autre est relativement familier aux apprenants, le reste posera moins de problème.

Dans le cas de Maxime LeForestier, par exemple (l'un de ceux qui "marche" toujours en classe, d'après mon expérience aux Etats-Unis), je peux commencer par L'Autostop, écrit en fait sur une musique américaine dans le style folk des années 60-70, et qui raconte une expérience drôle à la fois assez familière aux jeunes de chez nous et bien enracinée dans le contexte culturel français des départs en vacances. Ou au contraire, choisir un thème ayant un rapport direct avec l'Amérique comme San Francisco ou, à un niveau moins évident, Notre vie en rose (où il est question de coca cola et de drapeaux étoilés à l'époque de la guerre au Viêtnam).

Le Professeur Chamberlain suggère d'aborder des chanteurs apparemment plus "difficiles" par le biais de l'humour: de choisir d'abord Madeleine ou Comment tuer l'amant de sa femme... de Brel, au lieu de commencer par des chansons comme Le Plat pays ou Les Vieux. Les chansons drôles de Brassens, par contre, sont parfois très difficiles et assez souvent paillardes, ce qui pose un autre problème, surtout au niveau secondaire. On choisira alors plutôt des chansons comme Chanson pour l'Auvergnat ou Pauvre Martin. Une fois le contact établi, les chansons difficiles ou moins facilement abordables passeront également.

Il y aura toutefois des surprises de temps à autre, où les apprenants n'apprécieront pas du tout telle ou telle chanson. J'ai été étonné, il y a quelques années, de la réception presque unanimement négative que mes étudiants ont réservée à la chanson de Jean Ferrat sur un beau poème d'Aragon, Nous dormirons ensemble. Il faut reconnaître la part du goût personnel de chacun qui entre dans l'appréciation de quelque chose d'aussi complexe qu'une chanson, goût personnel qui se formera et s'élargira au fur et à mesure que l'apprenant se mettra davantage à l'écoute attentive de ces chansons venant d'ailleurs, portant en elles tout un monde. Ne nous décourageons donc pas si telle chanson que nous aimons ne passe pas; ce n'est peut-être pas définitif.

Mais choisissons d'abord de sorte que les premières expériences soient presque sûrement positives. Un bon début va porter des fruits pour toute la suite, surtout sur le plan de la motivation des apprenants. Ceux du Professeur Chamberlain, par exemple, "s'impatientaient de connaître d'autres chanteurs, et n'en revenaient pas de découvrir qu'il y avait autre chose que Piaf, Aznavour et Le Pont d'Avignon dans la chanson française." Mes étudiants sont presque unanimes à noter sur leurs évaluations de fin de cours qu'ils ont apprécié les chansons autant sinon plus que tout le travail plus "traditionnel" fait dans le cours.

Commencez donc par passer une ou deux chansons par semaine. Vos élèves ou étudiants vont probablement vous demander de repasser telle ou telle chanson, ils vont vouloir connaître le nom du chanteur, savoir de quoi il s'agit dans la chanson. Ils vont vous demander si vous avez les paroles (voilà une occasion de faire la distinction entre 'mots' et 'paroles'), ils vont avoir envie de comprendre. Quelle meilleure attitude pourrions-nous susciter?

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Bernard HAILLANT

Le plaisir de comprendre

Une deuxième étape va permettre à ce désir de se réaliser et offrir aux apprenants le vrai plaisir de comprendre quelque chose qu'ils n'avaient pas compris au départ et de mesurer ainsi le chemin parcouru.

La façon la plus simple de procéder, à suggérer surtout si vous ne voulez ou ne pouvez consacrer aucun temps en classe à quelque chose d'aussi "frivole" que la chanson, c'est de préparer des copies ronéotypées ou photocopiées des paroles de la chanson et de les proposer à ceux qui les désirent. Attention: préparez-en assez, tout le monde en voudra si les chansons sont bien choisies. Mais il est bon d'en faire quelque chose de facultatif et non d'imposé. Il est bon également de donner des choix, d'offrir un espace de liberté à l'intérieur duquel l'apprenant sent qu'il agit de par sa propre initiative. C'est une expérience agréable qui peut avoir des retombées très positives sur la façon dont les apprenants abordent leur travail.

Donnez donc des copies à ceux qui les désirent, et repassez la même chanson plusieurs fois, soit deux ou trois jours de suite, soit en alternance avec une autre chanson. Pour préparer les textes, tapez ou photocopiez le texte tel que vous le trouvez sur la pochette du disque ou dans une des autres sources que vous trouverez dans la bibliographie ci-dessous. Faute de mieux, il est possible de transcrire le texte soi-même, mais c'est un processus assez laborieux.

Si vous distribuer le texte tel quel, il est probable que les apprenants auront quelques problèmes de compréhension, même après l'avoir lu à la maison, dictionnaire à la main. Ce n'est pas une mauvaise chose, encouragez-les à vous demander des précisions ou des explications de tout ce qui reste obscur. Ils vont apprendre peu à peu comment s'attaquer à un texte, être sensible aux niveaux de langage (les [pop.], [fam.], [vulg.] de leur dictionnaire), utiliser diverses ressources, y compris leur prof et leurs camarades de classes, pour arriver à comprendre.

Quand, le lendemain ou le surlendemain, la chanson revient, ils perçoivent aussitôt, avec plaisir, le fruit de leur effort. Ils vont comprendre la chanson de plus an plus facilement, d'abord texte en main, ensuite sans aucun support écrit. Il n'est pas du tout exclu que ce plaisir soit contagieux et qu'il ait des répercussions sur le reste de leur travail en français. Et s'ils prennent goût à ce plaisir, qui sait où cela peut mener!

Il est possible de faciliter la compréhension du texte, surtout si vous ne voulez pas que les questions débordent sur le précieux temps, toujours trop limité, que vous avez en classe. Il s'agit tout simplement d'ajouter dans les marges du texte les gloses nécessaires, donnant des définitions, identifications ou explications de mots ou d'expressions qui risquent de poser des problèmes mêmes pour ceux qui font un effort personnel. Il me semble extrêmement important que ces gloses soient en français, assez simple pour le niveau de la classe, et non dans la langue des apprenants, pour que ceux-ci ne sortent pas du milieu linguistique et culturel de la chanson. Il faut toutefois résister à la tentation de tout faire à la place des apprenants, leur ôtant tout problème mais aussi tout le plaisir de l'effort et de la découverte personnels.

Donner une vraie place à la chanson

Jusqu'ici, nous avons parlé de la chanson qui reste en marge des vraies actitivités de la classe. C'est comme cela qu'elle a souvent été traitée: à la rigueur, elle avait sa place comme élément de motivation, ou de récompense, ou de distraction. Tout cela n'était pas mauvais, mais c'était reléguer la chanson à une place tout à fait secondaire. Elle ne faisait pas partie du programme tel que le définissaient l'école, le département, le directeur ou même le professeur.

Depuis dix ou quinze ans, un nombre grandissant de professeurs accordent à la chanson une place à part entière dans leur enseignement et s'efforcent de répandre la bonne nouvelle parmi leurs collègues dans des congrès, colloques, articles et livres. La bibliographie ci-dessous réflète ce travail qui a lieu dans des salles de classes comme la vôtre, que ce soit en Europe, en Amérique ou en Australie, au niveau primaire comme au lycée et à l'université. Ce petit texte qoue vous avez dans les mains voudrait vous encourager à vous y essayer. Comment faire?

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Eric VINCENT

Exercices d'écoute

La chanson peut en premier lieu servir à des exercices d'écoute et de compréhension orale. Elle permet d'offrir aux apprenants des voix et des façons de parler authentiques et variées et affine leurs capacités de comprendre le français tel qu'il est effectivement parlé en dehors d'une situation de classe. Chaque chanson est un document authentique de langue et de culture qui n'a pas été créée à l'usage de l'apprenant étranger. Elle offre une entrée dans la langue française et tout ce qu'elle véhicule: une façon d'être, de sentir, de se voir, de réagir au monde. Elle permet d'entrer dans une certaine mesure dans ce que c'est que d'être français (ou québécois, ou belge ou africain) de nos jours. Ce n'est pas peu de chose.

Première écoute

L'exercice le plus simple est l'écoute en commun d'une chanson, d'abord sans texte. On peut même demander aux apprenants de fermer les yeux et d'essayer de percevoir la chanson globalement, ainsi que de saisir de quoi il s'agit dans l'ensemble. Même quand les paroles ne sont pas comprises dans le détail, les apprenants peuvent déjà avoir une certaine idée du sujet, du ton, de l'émotion. Une communication peut avoir lieu qui ne dépend pas des seules paroles, mais qui donnera envie de comprendre ces paroles plus précisément.

Pour faciliter et guider cette écoute, il est possible de fournir quelques indications ou tâches précises à l'avance. On peut demander soit à toute la classe, soit à des groupes séparés, de prêter une attention particulière à certains éléments de la chanson: la voix, l'expressivité de l'interprétation, les instruments qui accompagnent la voix, l'orchestration, les rimes, la répétition de mots ou de phrases, l'accentuation de certains mots par ces divers moyens, etc.

Certains professeurs choisiront d'orienter déjà cette première écoute en fonction de l'exploitation qu'ils ont l'intention d'entreprendre par la suite. Une façon de le faire est de donner aux apprenants une "grille" d'écoute, leur demandant de repérer et de noter, par exemple, certains éléments linguistiques: les verbes au passé composé, ou les impératifs, ou les expressions de temps.

La mise en commun de ces observations donne déjà une première impression. On peut demander, par exemple: qui chante? un homme? une femme? jeune ou d'âge mûr? Quel semble être le ton? triste, gai, mélancolique, aggressif, violent, nostalgique, ironique? A qui s'adresse la chanson? à une personne spécifique, comme "Monsieur le Président" dans Le Déserteur de Boris Vian, ou le "tu" des chansons d'amour? à un groupe? à chaque personne en tant que telle? Ou bien, est-ce que la chanson raconte une histoire? Qu'est-ce qui se passe? Quels sont les personnages? Ce jeu de questions peut aller plus ou moins loin, selon la compréhension de la chanson à la première écoute.

De nouveau, quelques questions qui n'ont pas encore eu de réponse peuvent orienter la deuxième écoute, qui cherchera à établir le texte exact.

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Rétablir le texte

On reprend la chanson donc au début, par petits bouts, et en fait rétablir le texte complet, oralement ou par écrit au tableau, par l'ensemble de la classe. Certains passages ou mots résisteront même à deux ou à trois écoutes successives: il est bon d'éviter les pertes de temps inutiles en écrivant à l'avance au tableau des mots sûrement inconnus des apprenants; c'est l'équivalent des gloses portées sur le texte écrit pour en faciliter l'accès.

Le professeur peut faciliter la compréhension de la chanson en mimant les actions ou les sentiments exprimés. Comme tout professeur de langue qui enseigne de façon directe et active est un peu comédien, ce jeu ne devrait pas lui être trop difficile. Il peut même proposer aux apprenants de l'imiter, ce qui facilite non seulement la compréhension mais aussi l'apprentissage de la chanson, qui s'inscrira ainsi dans le corps. C'est ainsi, d'ailleurs, que mon fils cadet a appris à lire et à écrire en France, par une méthode dite "gestuelle" qui s'est avérée efficace. Plus on fait entrer d'éléments divers dans le processus de l'apprentissage--cerveau, sens, corps, sentiments, émotions--plus cet apprentissage sera efficace et durable.

Je me souviens toujours, par exemple, d'une chanson d'enfant que j'ai apprise il y a plus de trente ans, tout au début de mon apprentissage du français. Toutes les actions de la chanson sont mimées, tous les mots importants sont designés par des gestes, tout le corps participe à la production de la chanson:

Dans sa maison un grand cerf /Regardait par la fenêtre

Un lapin venir à lui/ Et frapper ainsi:

"Cerf, cerf, ouvre-moi /Ou le chasseur me tuera"

"Lapin, lapin, entre et viens/ Me serrer la main."

Ce n'est qu'une petite chanson d'enfant, me direz-vous. Mais le principe est généralisable et peut servir même au niveau secondaire et universitaire. Le professeur qui ne se prend pas trop au sérieux, qui comprend l'importance du jeu, de tout l'aspect ludique de l'enseignement, et le rôle des gestes et du langage non-verbal dans toute communication, pourra en profiter et en faire profiter sa classe. Ce jeu n'est pas limité aux chansons d'enfant. Beaucoup de chansons de Brel, par exemple, sont des pièces de théâtre en trois minutes, et se prêtent très facilement à cette présentation active.

De toutes façons, chaque fois qu'un ensemble de mots a été compris par l'un ou par l'autre, il est bon de le faire répéter en chœur par tout le monde. D'une part, cela empêche ceux qui ont davantage de mal à saisir les paroles de rester inactifs; d'autre part, cela facilite pour tout le monde l'apprentissage active de la chanson par la suite. Et cela donne aux apprenants l'occasion d'imiter et d'assimiler des langages et des façons de parler authentiques, ce qui n'est pas peu de chose.

L'équipement

Il est très important, surtout lors de cette deuxième écoute, de disposer d'un équipement adéquat. Le plus facile est de travailler avec des cassettes et un magnétophone dont la touche "pause" fonctionne de façon rapide et précise, ce qui permet des arrêts et des redéparts nets et sans pertes. Encore mieux, de nos jours, est le lecteur de CD avec télécommande qui permet toute sorte de manipulations. Un disque vinyle, par contre, permet très peu de manipulation en classe et n'y résiste pas très longtemps. Conservez vos disques précieusement à la maison, et copiez sur cassettes les chansons que vous comptez utiliser en classe. (Cela permet d'ailleurs de composer des "cocktails" personnels, par thèmes ou non, qui correspondent exactement à vos besoins.)

Une fois le texte établi oralement par tout le groupe, on peut distribuer le texte écrit, avec ou sans gloses des difficultés linguistiques, et réécouter toute la chanson. A partir de cette troisième écoute on peut procéder à une analyse du texte, qui ne sera plus simplement un texte écrit, mais un texte porté et coloré par tous les aspects sonores et musicaux qui en sont des éléments essentiels.

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Textes à trous

Une autre sorte d'exercice d'écoute se sert d'un texte à trous, c'est-à-dire un texte dont certains mots ont été éliminés. Ce texte peut être distribué après une seule écoute de la chanson. Une deuxième et troisième écoute permettront à chacun de rétablir le texte tel qu'il est chanté.

L'intérêt de cet exercice est encore plus grand quand les mots éliminés sont choisis en fonction d'un but précis, par exemple pour renforcer un élément de grammaire ou de structure que l'on vient d'étudier: les pronoms personnels, les verbes à des temps ou des modes spécifiques, l'accord des adjectifs en genre et en nombre, etc. Les chansons peuvent être choisi spécialement en fonction d'un tel but précis. Vous trouverez plus loin une liste de certaines chansons qui s'y prêtent, dont par exemple Attendez que ma joie revienne, de l'album Dis, quand reviendras-tu? de Barbara pour une révision du subjonctif. Voici le premier couplet:

 

Attendez que ma joie [revienne]

Et que se [meure] le souvenir

De cet amour de tant de peine

Qui n'en finit pas de mourir

Avant de me dire je t'aime

Avant que je [puisse] vous le dire

Attendez que ma joie [revienne]

Qu'au matin je [puisse] sourire.

 

Une de mes chansons favorites de Jean Ferrat, tirée de l'album Ferrat 80, sert à merveille à faire assimiler le futur et se prête bien à cet exercice. Le titre, Tu verras, tu seras bien, comprend déjà deux futurs irréguliers, et il est repris comme refrain, répété, à la fin de chaque couplet, qui est, lui aussi, essentiellement au futur. D'habitude, mes étudiants se mettent à chanter le refrain dès le deuxième couplet. Voici la fin de cette chanson, dans laquelle un fils déjà adulte essaie de persuader à sa vieille maman--et se persuader à lui-même--qu'elle sera très bien à la maison des vieillards:

Et puis quand viendra dimanche

On ira faire un festin

Je me pendrai à ta manche

Comme quand j'étais gamin

Tu verras pour les vacances

Tous les deux on sortira

Là où l'on chante, où l'on danse

On ira où tu voudras

Tu verras tu seras bien (bis).

Une chanson plus récente dont j'aime me servir pour le futur est Bille de verre de Maxime LeForestier et Michel Rivard (l'un et l'autre l'ont enregistré on solo, et ils l'ont chantée ensemble sur l'album de Maxime, Sagesse du fou. Elle comporte beaucoup de verbes au futur et a eu beaucoup de succès des deux côtés de l'Atlantique ainsi qu'en classe de langue:

Un bateau de bois

Emporte papa

Tout au bout d' la terre

Il verra la Chine

Et les îles opalines

Où les gens vivent nus

Moi, j' deviendrai un homme

Mes notes seront bonnes

Il sera fier de moi

Il me rapportera une bille de verre

Et un ver à soie

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Françoise KUCHEIDA

Correction d'erreurs

Une variation de cet exercice consiste en un texte sans trous, mais où vous avez fait quelques "erreurs". Il s'agit alors, pour les apprenants, de rétablir le texte tel que l'interprète le chante. Ceci suppose d'une part une écoute attentive, d'autre part une attention aux détails de l'orthographe et de la grammaire.

Il arrive, d'ailleurs, qu'il y ait de telles "erreurs" sans votre collaboration, soit que l'interprète se trompe, soit qu'il change exprès le texte pour des raisons personnelles ou contextuels, soit que le texte imprimé comporte des fautes d'orthographe (ou même pires).

Ne nous lamentons pas de ces "fautes", car il est possible de les exploiter comme toute autre chose en classe. Les erreurs peuvent et doivent être l'occasion d'apprendre quelque chose.

On peut par exemple se demander pourquoi l'interprète change le texte, s'il le fait exprès. C'est peut-être parce que l'auteur l'a écrit au départ pour être chanté par une personne du sexe opposée. C'est peut-être pour adoucir ou même édulcorer un texte jugé trop osé ou trop provoquant sur le plan social ou politique. Ces changements peuvent donner lieu à des discussions des plus intéressantes.

Quant aux fautes de français que l'om trouve de temps en temps dans les textes imprimés, il peut être encourageant pour ceux qui se donnent tant de mal pour apprendre le français de voir que même les Français ont quelque mal à le maîtriser! J'ai même apporté en classe un feuillet publicitaire que j'avais trouvé dans une des grandes maisons de disques à Paris: il y avait une dizaine de fautes d'orthographe ou carrément de grammaire en quelques paragraphe! On peut faire feu de tout bois. Une écoute active

Pendant tous ces exercices, encouragez une écoute active: il est non seulement permis mais tout à fait bien de chantonner, même de chanter tout doucement en écoutant la chanson, car c'est le meilleur moyen d'assimiler tout le rythme, toute l'intonation de la langue, et d'apprendre les paroles qui sont ainsi soutenues et rendues mémorables par le support musical. Chacun de nous peut sans doute encore chanter certaines chansons ou rengaines de notre enfance, car elles nous sont entrées dans le corps et non seulement dans la tête. Pourquoi pas donner cette même puissance au français que nous enseignons?

La Compréhension du texte

Une fois que la classe a abordé la chanson en tant que chanson, qu'elle l'a écoutée dans son intégralité, qu'elle s'est laissé un peu imprégner par le rythme et les sonorités, elle peut confronter le texte sans oublier que le texte n'est que le squelette de la chanson. Elle pourra disséquer le texte en sachant que cette opération permettra de mieux comprendre et apprécier la chanson par la suite.

Travaillant sur le texte d'une chanson que l'on a déjà écoutée, il s'agit alors d'expliciter d'abord tous les mots, toutes les expressions ou tournures de phrases, toutes les références à des réalités en dehors de la chanson, toutes les structures grammaticales qui risquent de faire obstacle à la compréhension du texte; et ensuite, de faire prendre conscience aux élèves des rapports entre ce texte d'une part, et la chanson d'autre part, c'est-à-dire du mariage entre le texte et tout ce qui le porte, le soutient, donnant à l'ossature qu'est le texte une chair, un cœur, une âme.

A travers plusieurs années d'enseignement de la chanson, Denis Mouton a développé une approche à l'analyse d'une chanson qui me semble utile à reprendre ici en partie, bien que la plupart des professeurs de français n'aient pas le temps de faire un travail aussi approfondi dans leur propre classe. J'utilise moi-même certains de ces éléments régulièrement, d'autres rarement ou pas du tout. A chacun de choisir selon les buts qu'il se donne et les circonstances pratiques de son enseignement.

Voici donc un questionnaire qui peut servir de point de départ pour l'analyse d'une chanson. Tel quel ou adapté aux besoins du moment, il peut servir de cadre pour une analyse orale en classe, après une écoute en commun. Il peut également être distribué aux élèves pour guider un travail d'approfondissement fait à la maison ou au laboratoire de langue.

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L'Analyse d'une chanson

1. Quel est le sujet de la chanson?

Il y a certaines chansons dont le sujet n'est pas évident, et doit être discerné en lisant (ou écoutant) pour ainsi dire entre les lignes. Telle est mon expérience en classe avec Couleurs vous êtes des larmes de Guy Béart, une plaidoirie contre le racisme et l'intolérance chantée en forme de berceuse.

2. Il y a-t-il allusion à des références précises (lieux, êtres, événements, etc.)?

Il est important que le professeur ne prête pas sa propre grille aux apprenants, en supposant que les références à des réalités de la vie, de la politique, de l'histoire, de la géographie soient claires pour tout le monde. Rien n'est moins évident.

C'est parfois une question de générations: il est bon de s'assurer de la bonne compréhension de tout le monde et d'écarter au besoin les œillères éthnocentriques des uns ou des autres: raison de plus d'enseigner et d'apprendre le français par la chanson.

3. Quelle relation existe-t-il entre le titre et le contenu de la chanson?

4. Trouvez un autre titre à cette chanson.

Donner un titre n'est pas chose simple: on risque de limiter la portée du texte à une seule signification. Il serait intéressant aussi de demander aux apprenants d'inventer un titre sans savoir encore celui qu'a effectivement choisi l'auteur.

5. Pouvez-vous identifier qui "dit" le message? qui "fait" l'action?

Il est important de faire comprendre aux élèves que le "je" de la chanson n'est pas forcément identique à l'auteur: ce "je" est inventé comme le "je" d'un roman ou d'un poème. Ceci dit, la chanson d'auteurs-compositeurs-interprètes est très souvent une expression assez directe de leur sentiments, idées, ou opinions personnels, ce qui contribue à la communication très forte qui peut s'installer entre un chanteur et son public.

6. A qui s'adresse-t-on dans la chanson?

La chanson peut s'adresser à une personne spécifique, à un groupe que l'on critique ou interpelle, à tout auditeur, ou à chacun à titre personnelle, comme à la fin de Mon Pays de Gilles Vigneault : "C'est pour toi que je veux posséder mes hivers".

Dans tous les cas, il y a une certaine complicité qui s'établit, entre le chanteur et l'individu qui l'écoute, ou parmi tous ceux qui l'écoutent qui s'identifient avec lui ou se reconnaissent dans ses propos.

7. Comment s'organise la chanson (son plan)? Est-elle découpée selon le type "refrain-couplets-refrain"?

8. Expliquer l'idée ou l'action principale de chaque couplet ou strophe?

L'analyse indiquera également la fonction des différentes parties de la chanson: récit, commentaire, etc.

9. Relevez le vocabulaire qui est relié au thème (sujet) de la chanson:

Noms Verbes Adjectifs Adverbes

10. Faites le tableau des verbes. Quels sont les temps et modes dominants ? Quelle personne du verbe est employée principalement? Que pouvons-nous en conclure?

Ce tableau peut être révélateur du sens de la chanson: les imparfaits de La Montagne de Jean Ferrat relèguent la vie de la montagne dans un passé irrécupérable, les subjonctifs de Attendez que ma joie revienne de Barbara expriment l'aspect hypothétique du nouvel amour.

11. Y a-t-il présence des caractéristiques de la langue parlée? Ont-elle une fonction spéciale?

La chanson reflètent, plus que d'autres genres de textes, le français tel qu'on le parle, y compris les élisions, l'omission du 'ne' négatif, etc. Il est bon que l'élève comprennent ces différences et apprennent à manier la langue parlée et la langue écrite à bon escient. L'étude de la chanson, à côté d'autres genres de textes, peut contribuer à cet apprentissage.

12. Passe-t-on d'un niveau de langue à un autre?

Il y a des chansons qui font appel à des niveaux de langue très divers, et il est bon que l'on apprenne à distinguer les langages familier, populaire, argotique, vulgaire, etc. en contexte, ce qui pourra aider les apprenants à les apprécier comme des richesses de la langue française et à les utiliser (ou éviter) en connaissance de cause.

13. L'auteur emploie-t-il des figures de style? Quelle est leur fonction? Quel est leur sens? (comparaisons, métaphors, personnifications, d'autres)

14. Pour chaque strophe, donnez les caractéristiques techniques: sonorités; rimes; assonances; pieds

L'analyse de la chanson permet une initiation à la métrique de la poésie, tout en la distinguant de celle de la chanson, où le texte imprimé indique souvent l'élision de l'e muet typique de la langue parlée&endash;élision que l'élève étranger a quelquefois du mal à assimiler et à pratiquer.

15. Expliquez le lien qui existe entre le texte et la musique.

16. L'interprétation (la voix) aide-t-elle à la compréhension de la chanson?

17. Y a-t-il dans le texte des structures nouvelles ou particulières? des mots nouveaux?

18. Trouvez, chez un autre auteur une chanson qui traite du même sujet. En connaissez-vous dans votre langue maternelle? Comparez les différentes façons d'aborder ce même sujet.

Il y a des thèmes frappants dans la chanson française, entre autres le testament, la mort, l'enterrement) qui peuvent donner lieu à des comparaisons culturelles fructueuses.

Il peut être instructif, par ailleurs, d'étudier côte à côte des chansons françaises et leurs adaptations dans la langue maternelle des apprenants, ou au contraire des adaptations en français de chansons écrites dans cette même langue maternelle. Ce ne sera pas facile dans toutes les langues, mais pour l'anglais et l'allemand au moins il y a pas mal de possibilités.

Il y a toujours eu quelques adaptations de chansons françaises en anglais et vice-versa. Que l'on pense par exemple à Autumn Leaves, écrit à l'origine par Jacques Prévert et composé par Joseph Kosma. Dans les années 60 et 70, beaucoup de chansons de Bob Dylan, Tom Paxton, Pete Seeger et d'autres ont été adaptées en français. Hughes Aufray a sorti un album entier de chansons de Dylan, et Graeme Allwright, un Néo-Zélandais dont la France est le pays d'adoption, a fait des adaptations extraordinaires de chansons traditionnelles ou contemporaines. Ce même Graeme Allwright a sorti tout un album de chansons de Georges Brassens en anglais, chose jusque-là considérée à peu près impossible.

Brassens avait pourtant déjà été adapté en allemand, surtout par Reinhard Mey, auteur-compositeur très connu en Allemagne en allemand, et connu en France également, en français, sous le nom de Frederick Mey. En plus des adaptations, il écrit beaucoup de ses propres chansons en versions françaises et allemandes. [Notez l'article de E. Jung dans la bibliographie plus loin.] Klaus Hoffmann, un autre auteur-compositeur allemand de grande qualité, chante Brassens en allemand et commence à voir ses propres chansons adaptées, par Marc Robine, par exemple, sur son album, Gauloises .

19. Commentaires supplémentaires.

Les chansons peuvent servir de point de départ de discussions portant sur tous les thèmes abordés. Il serait possible de trouver une chanson portant sur presque tous les aspects de la réalité telle qu'elle est vécue et ressentie. Chaque chanson donne une approche spécifique et bien enracinée dans la langue et la culture de l'auteur, et permet aux élèves d'entrer dans la sensibilité de l'auteur, de la comprendre de l'intérieur, de la confronter à leur propre façon de sentir et de penser.

Le répertoire de chansons par thèmes plus loin ne fait que suggérer les riches de la chanson contemporaine pour l'étude de la culture au sens le plus large du terme.

La chanson peut donc accompagner tout autre livre ou méthode de langue ou de civilisation employés en classe, en y ajoutant un élément plus vivant que tout autre texte qui n'est que texte.

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L'Exploitation linguistique

La chanson se prête à merveille à renforcer et à soutenir l'apprentissage de la langue, et elle peut être exploitée de plusieurs façons complémentaires.

Comme nous l'avons suggéré plus haut, une chanson peut être sélectionné pour accompagner la présentation et l'étude d'un élément de grammaire: le futur, le subjonctif, les pronoms personnels, etc. La chanson servira de contexte mémorable, de point de référence qui restera inscrit dans la mémoire auditive, et auquel le professeur peut à tout moment faire appel: "vous vous rappelez, c'est comme dans la chanson de Brel, Ne me quitte pas ".

Cette chanson peut par exemple soutenir une leçon sur l'impératif et la place des pronoms. Une fois la chanson tant soit peu assimilée, il ne sera plus possible de mal placer les pronoms puisqu'on aura à l'oreille le "ne me quitte pas" répété quatre fois à la fin de chaque couplet, aussi bien que le "laisse-moi..."

Chaque chanson apprise et assimilée fournira une quantité de structures et de tournures de phrases qui resteront dans la mémoire auditive, si importante comme point de référence dans la langue maternelle et si difficile à acquérir dans une langue étrangère.

Le professeur peut attirer l'attention sur de telles structures pendant le rétablissement du texte de la chanson et même faire de petits exercices de substitution sur-le-champ. Il faut veiller toutefois à ne pas exaggérer dans ce sens au point de gâter le plaisir de la chanson elle-même chez les élèves. Mieux vaut créer un magasin de références communes d'où on pourra tirer de bons exemples le moment venu.

Un bon exercice d'exploitation consiste à transformer la chanson de la première à la troisième personne, ou vice versa. Certaines chansons se prêtent à des transformations en dialogues, que les élèves peuvent ou écrire à la maison ou, mieux, jouer en classe. D'autres sont déjà en forme de dialogues, comme Dialogue ou Autre dialogue de Maxime LeForestier; certaines chansons de Brel peuvent être jouées en classes comme des mini-pièces de théâtre, tellement les personnages sont déjà bien campés dans la chanson.

Les possibilités d'exploitation de la chanson ne sont limitées que par notre habitude de classer la chanson dans un coin quelque peu pousiéreux de notre salle de classe et de notre esprit. En donnant libre cours à notre imagination et à celle de nos élèves, on trouvera bien.

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Chanter en français

Il y a plusieurs façons dont un apprenant peut assimiler, faire sienne, une chanson. Le fait d'écouter une chanson attentivement, à plusieurs reprises, rend son assimilation active d'autant plus facile, et un tout petit peu d'encouragement suffira en général à faire franchir ce pas qui fait vraiment vivre la chanson.

La façon la plus simple, c'est tout simplement de demander aux apprenants de chanter la chanson en même temps qu'ils en écoutent la version originale. Si tout le monde chante en même temps, y compris le professeur, les plus timides des apprenants s'y lanceront sans se sentir le centre de l'attention. Le fait de produire la chanson oralement, impliquant la mise en jeu des cordes vocales, de la respiration, des muscles et de tous les éléments physiques et psychiques nécessaires à la production de la parole, la fera entrer davantage dans le corps de l'apprenant, ce qui renforce la mémoire de façon remarquable.

Il est souhaitable de commencer, évidemment, avec des chansons qui sont assez faciles à chanter. Même avec des débutants en français, on peut commencer à chanter des chansons populaires telles que Vive la rose ou Aux marches du palais : les refrains et les répétitions facilitent énormément l'apprentissage et entraînent les plus réticents. Par la suite, on peut choisir des chansons contemporaines de facture rélativement simple, comme Couleurs vous êtes des larmes, de Guy Béart, lui dont beaucoup de chansons rejoingnent la grande tradition populaire. Une fois que la classe aura goûté le plaisir de chanter en français, le pli sera pris et elle abordera des difficultés musicales plus grandes sans en être intimidée à l'avance.

Une deuxième étape permet de chanter la chanson sans disque ou cassette. Il suffit pour cela de garder le bon rythme en claquant des doigts ou en tapant dans les mains. Les chansons bien rythmées s'y prêtent évidemment mieux que celles qui se rapprochent davantage du récitatif.

Pour la chanson québécoise, il existe des disques de musique sans paroles (voyez "Matériaux pédagogiques" plus loin) qui fournissent une bonne orchestration d'un grand nombre de chansons connues. Ils permettent de chanter les paroles des chansons sans le soutien de l'interprète, tout en ayant le support musical comme accompagnement. Je ne connais rien de semblable pour la chanson française.

Encore mieux, selon les possibilités de la classe, serait de faire accompagner la chanson par l'un ou l'autre élève qui joue de la guitare, de la flûte, ou d'un autre instrument susceptible d'être apporté en classe. Il y a parfois des talents insoupçonnés dans une classe, et il est très bien, et pour les individus et pour la classe en tant que classe, d'encourager le partage de tels talents. Il se peut que des individus ou de petits groupes puissent s'intéresser à préparer telle ou telle chanson en dehors de la classe, pour la partager ensuite avec tout le monde. Tout ce qui peut faire travailler les apprenants sur le français et, dans la mesure du possible, en français, est bon à encourager. (Pour des sources de textes et de musiques, dont certaines comprennent les accords de guitare, voyez la bibliographie plus loin).

Certains professeurs, surtout les amateurs de la chanson, seront à même d'accompagner la classe à la guitare, s'il n'y a pas de musiciens qui se portent volontaires. Ceci aura peut-être un effet positif supplémentaire sur l'atmosphère de la classe en changeant l'image du professeur, encore trop fréquente dans l'esprit des élèves, de celui qui dicte du haut de son autorité en celui qui participe à un processus dont il est partie prenante. Si la chanson n'avait que cet effet-là, elle vaudrait largement le temps et l'effort que l'on y consacre.

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Erik MANANA

De la re-création vers la création

Une étape supplémentaire peut permettre aux apprenants d'avancer vers une production, une création personnelle à partir d'une chanson qu'ils ont assimilée. Cette étape peut procéder par plusieurs stades.

La personnalisation

Un premier stade pourrait se baser sur un texte à trous, comme ceux que l'on utilise pour un exercice d'écoute. Les trous éliminent un certain nombre de mots-clés, laissant intacts la structure et peut-être la plupart des rimes, s'il y en a. C'est ensuite à l'apprenant de réécrire la chanson en la personnalisant, c'est-à-dire en mettant dedans ses propres noms, sentiments, expériences, images, rêves. La chanson devient ainsi sa chanson, où il peut se dire, s'exprimer, se reconnaître et se faire reconnaître. C'est une expérience qui peut être extrêmement valorisante, surtout pour un jeune qui se cherche, et vaut, elle aussi, tout le temps et l'effort qu'elle nécessite.

Une variante de cette exercice supprime le dernier couplet de la chanson et les apprenants, seuls ou en petits groupes, sont chargés de réécrire un dernier couplet. Le travail en groupes a le très grand avantage de permettre des échanges multiples en français, centrés sur une tâche très précise à accomplir. Les façons fort diverses de terminer la chanson, et donc en quelque sorte d'interpréter ce qui précède ce dernier couplet, peuvent donner lieu à des discussions passionnées et passionnantes.

En plus de la possibilité pour l'apprenant de s'expimer en français à l'intérieur d'un cadre connu et par le fait même sécurisant, ces exercices de production ou de création lui permettent de se rendre compte, de façon tangible, pratique et surtout personnelle, des exigences d'une structure poétique et musicale donnée: nombre de syllabes, rimes, etc.

J'ai vu, il y a quelques années, une bande vidéo d'une telle chanson créée dans le cours de Denis Mouton qui était tout à fait étonnante, non seulement en tant que chanson (c'était une personnalisation d'une chanson de Trenet) mais surtout par l'impact de cette rencontre prolongée avec une chanson poétique sur un jeune garçon qui jusque-là semblait imperméable à la poésie.

Ces exercices d'adaptation ou de re-création peuvent par la suite donner lieu à des créations encore plus personnelles, par exemple la composition d'un texte original sur la musique d'une chanson que l'on connaît bien, ou bien une parodie d'une chanson ou du style d'un auteur que l'on a étudié.

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Parodies

Dans le cadre d'un ensemble d'activités centrées sur la chanson française dans les lycées de Berlin, par exemple, on a proposé aux élèves de faire le portrait du Berlinois ou de la Berlinoise sur le modèle d'une chanson de Marie-Paule Belle, La Parisienne. Voici un des textes, intitulé La Berlinoise :

Je ne suis pas un' squatter

J'habite chez mon père

Je ne suis pas popper ni punk ni ted

Je suis normale, je le regrette!

Je grossis car je ne suis pas un 'fan' de la diététique

Ça c'est triste et ça se complique!

Je ne suis pas dans l'vent

Parce que je n'ai pas d'argent.

Je ne suis pas toxicomane

Et j'ai une bonne âme

Malgré ça, je suis une berlinoise émancipée

bonn' vivant' et très rusée

J'ai la plus grande gueule de Berlin

Et je m'appelle Karin!

Ce n'est peut&endash;être pas à la hauteur de La mauvaise réputation de Brassens, mais il est certain que pour la Karin en question, c'était un moment fort de son apprentissage du français et qu'elle n'est pas prête à oublier.

ou texte original

Une autre chanson écrite par des élèves dans le cadre de ces activités chansonnières à Berlin témoigne de l'intérêt que ces jeunes ont trouvé à composer leur propre texte sur une mélodie donnée comme point de départ:

Trouver un texte sur cette mélodie

Pose bien d'problèmes, croyez-nous

Il faut du français, faut qu'ça parle de la vie

Et faut aussi que ça rime au bout.

Et nous avons discuté

Sujets comiques et sérieux

Mais toujours insatisfaits

Trouver un texte sur cette mélodie

N'est pas facile, voyez-vous

Si c'est français, si ça parle de notre vie

Cela ne rime plus du tout.

Finalement voilà

Notre chanson résultat

Nous est venue comme ça

Trouver un texte sur cette mélodie

C'est rigolo, nous l'avons vu

C'est du français et ça parle de notre vie

Ça rime et si ça vous a plu

Applaudissez et n'hésitez pas, chers amis

Et donnez-nous le premier prix.

Si par la suite, les auteurs veulent bien partager leurs chansons avec toute la classe, en les chantant et en s'accompagnant ou en se faisant accompagner par un camarade de classe, ce sera un moment très fort de communication réelle.

Commencez donc, selon vos possibilités et vos inspirations, à faire une place à la chanson dans vos cours de français. Il est tout à fait probable que vos élèves ne diront jamais que le français, "c'est toujours la même chanson"!

A vous de jouer! Faites-moi part de vos expériences, suggestions, idées.

 

Brian THOMPSON

Le Centre National de la Chanson, University of Massachusetts/Boston

100 Morrissey Bd., Boston MA 02125-3393

courriel: brian.thompson@umb.edu

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