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"French troubadour" : c'est ainsi qu'on l'appelle aux USA où, après une vingtaine de tournées, après avoir assuré un cours intitulé "2.000 ans de chanson française" dans deux universités réputées, après avoir--en passant--rempli Carnegie Hall, où--disais-je--il est peut-être plus connu qu'en France !
De ce côté de l'Atlantique, on a souvent tendance à ne voir en lui que le "chantre de la mer". C'est faire peu de cas de la variété de ses chansons, souvent composées en collaboration avec des poètes qui n'avaient pas tous--loin s'en faut--l'humeur océane : voir Aragon, Barjavel... D'avoir mis Norge en musique séduira Brassens qui enregistrera d'ailleurs Jehan l'Advenu La mer, il est vrai, a longtemps constitué un thème majeur d'inspiration pour Jacques Yvart, au point que quelques-unes de ses "marines" (Le Cabaret des Minteux, Le fils du Capitaine Achab , Ohé, ohé du bateau !) font maintenant partie de ces titres que les gens de mer recueillent épisodiquement dans leurs filets, enrichissant leur tradition au gré des couplets qui méritent de durer. Et est-il plus bel hommage pour un artiste que de faire ainsi partie, de son vivant, de ces "anonymes du XXème siècle", chers à Béart ? Yvart est, dès sa prime enfance dunkerquoise, un amateur de chansons, un peu comme tous les gens de sa famille Il est familiarisé très tôt avec tout un répertoire de titres populaires et apprend ce qu'il découvre, fasciné, sur les premiers disques qu'il peut écouter. C'était le répertoire des Compagnons de la chanson, de Piaf, de Trenet à la fin des années 40. Vers 13 ans, il commence à çcrire des "bouts rimés", dont les sujets n'étaient pas toujours très nobles : "je me souviens de ma toute première chanson : elle concernait les stylos à bille !" Mais il y a aussi la poésie. Et Brassens arrive, dans les années 52-53, à la radio. C'est le grand choc : "le premier disque que j'ai acheté était un 25 cm de Brassens. Brassens a été déterminant. J'ai commencé à apprendre ses premières chansons par coeur, tout de suite, et cela a certainement déclenché une envie d'écrire." Sa première guitare lui est offerte par sa mère, pour la première partie du bac, à 17 ans. Jacques Yvart se souvient : "j'ai eu la guitare au mois de juillet 57, et ma première chanson à la guitare je l'ai écrite sur l'air de La mauvaise herbe" Le solfège ? Il n'en a alors que des notions assez floues. Il en fait un peu, à l'académie de Rosendael, mais cette discipline le rebute. Cependant, "plus tard, il a bien fallu que je m'y mette !...." Entre 1957 et 1960, il gratte beaucoup la guitare, écrit ses premières chansons, toutes "brassensisantes", "béarisantes" aussi : "j'ai dû écrire alors une quinzaine de chansons dans ces ambiances-là."
Sa première expérience de cabaret date de cette époque : il trouve un engagement à "La Grange au Bouc", à Montmartre, durant l'été 58. Il a alors 18 ans. Arrive le service militaire, en 1960, et l'Algérie. C'est là qu'il rencontre les deux partenaires avec lesquels il crée un trio : les "Black and white angels", devenus les "Rythm angels", puis les "Troubadours du rythme", et finalement les "Bab's". Ils se forgent rapidement un répertoire mitigé de la chanson twist et du gospel. Ils interprètent Avec une poignée de terre, Be bop a lula, mi français, mi anglais "On a eu de la chance : Ça a marché presque tout de suite." Yvart rentre en France en novembre 1962. Avec Les Bab's, il commence à faire un peu de cabaret. Parallèlement, il traîne ses guêtres sur la Rive Gauche, passe des auditions à "La Colombe", au "Cheval d'or", à "L'Ecluse", "Chez Georges". Et, avant que le trio ne trouve réellement du travail, fait ses débuts à "La Colombe" où Michel Valette l'engage à l'automne 1963, avec un répertoire essentiellement composé de chansons écrites sur des textes d'André Devynck. Parallèlement les Bab's s'affirment et sortent leur premier 45 t début 64, chez Polydor. Ils en enregistreront six, entre 1964 et 1966, mais après un début de carrière honorable, les relations du trio se dégradent et c'est la fin de l'épisode. Entre temps, fin 1962&emdash;dès son retour du service militaire - il a fraternisé avec son voisin de palier: André Devynck, professeur d'anglais et poète. Devynck lui confie des textes qu'il met en musique. Son premier répertoire de cabaret est donc constitué de chansons Devynck-Yvart. Si ce répertoire est marqué par la mer, Devynck y est certainement pour quelque chose, mais aussi toute l'ambiance dunkerquoise. Beaucoup de ses "marines" datent de cette époque-là. Cependant, par rapport à certains critères du métier, les chansons qu'il écrit avec Devynck, si belles et bien écrites soient-elles, ne sont sans doute pas assez radiophoniques. Il écrit alors, seul, Le fils du Capitaine Achab et Vogue la galère Yvart réalise ainsi son premier projet discographique : l'album Marines, finit par convaincre Léo Missir, directeur artistique chez Riviera-Barclay où il signe un contrat d'artiste. C'est donc sous le signe de la mer que Jacques Yvart commence sa carrière. Il est vrai que son père était marin, ses grands-pères pêcheurs d'Islande. La mer l'a toujours attiré : "Quand j'étais môme, j'inventais des histoires sur la mer". Dès ce premier album, Marines, --une face de chansons traditionnelles, une face de chansons originales-- (1969), Yvart sent venir l'étiquette--à laquelle il n'échappera d'ailleurs pas--de "chantre de la mer". Du coup, le deuxième album s'appellera De la mer et des hommes (1970), histoire de mettre un pied au sec. Il comporte des chansons qui parlent de la mer, et notamment les Cent matelots (sur un texte de Roger Riffard), mais aussi On joue a l'homme qui n'a rien à voir avec le thème. C'est d'ailleurs cette chanson qui marchera en radio.
Vient ensuite le troisième album : Suite à vivre du temps présent (1972), histoire de se démarquer complètement, avec entre-temps quelques 45t pas trop maritimes pour essayer de se débarrasser de cette image qui continue à lui coller, mais qu'il ne renie tout de même pas ne serait-ce qu'en raison du travail qu'elle lui procure ! Dans ce troisième album, il développe des thèmes comme la guerre, le racisme, l'automobile, la pollution en général, des thèmes dont il continue à parler aujourd'hui, dont il n'a jamais cessé de parler finalement, des choses qu'il porte en lui depuis toujours. Ce disque sera le dernier album produit chez Riviera-Barclay car, comme le raconte Yvart : "ce disque, ils ne l'ont pas du tout défendu : ils ne voyaient pas pourquoi je voulais faire autre chose que des "chansons de marins", comme ils disaient. Alors il y a eu divergence entre la maison de disques et moi." Tout en souhaitant continuer à changer d'image de marque, Yvart revient plus ou moins à la mer avec l'album suivant qui s'intitule Chansons insulaires. Il aborde la mer par les Iles, et "les Iles c'est la mer tout en étant autre chose..." C'est un album très poétique. Yvart y chante, entre autres, un texte superbe de Devynck, Les filles de fortune, un autre de Norge : Autre vague, Les bateaux dans les bouteilles, de Vigneault, et Le voyage de Hollande d'Aragon. Cet album sort chez WEA en 1974. Entre temps, Yvart aura fait une petite incursion chez Pathé-Marconi avec le 45 t Les Saintes c'est le paradis et La chanson de Pico Ensuite, en 1975, parait le 45 t Loup de terre et Oiseaux migrateurs, chez BASF qui débute à l'époque dans la production. Le disque passe souvent à la radio, à France-Inter surtout mais demeure un échec commercial. Yvart le regrette encore aujourd'hui : "c'était, pour la carrière française, un beau virage manqué." C'est alors que, sous l'impulsion de Richard Marsan&emdash;célèbre directeur artistique de Ferré, entre autres Là démarre le projet qui aboutira, par des chemins détournés qu'il serait trop long de parcourir ici, au superbe album A la source (1976) qui comporte à mon sens quelques-unes des plus belles chansons de Jacques Yvart et que je place sans hésiter au panthéon des grandes chansons françaises : L'amour pour l'amour et La Vallée des Roses Le disque A la source aurait pu constituer un tournant (le titre L'amour pour l'amour demeure classé pendant treize semaines au hit-parade des clubs), c'est pourtant alors que Jacques Yvart, lassé par la promotion et le show-biz, décide de partir plus d'un an aux Etats-Unis. Son premier cours sur la chanson française en Californie date de cette époque, en 1977. Et puis, comme les tournées s'enchaînent bien, il a l'idée de l'album Yvart on campus, enregistré en partie dans le Minnesota et en partie dans le Dakota du nord (en 1978) et qui reproduit fidèlement l'ambiance des concerts donnés là-bas, seul avec sa guitare. Il y en aura un deuxième (une production américaine) qui n'est pas sorti en France, mais qui a bien marché là-bas. Le voilà donc en Californie, avec un contrat en bonne et due forme de professeur invité. Pour Yvart, ces années sont capitales, car c'est là qu'il peut creuser l'histoire de la chanson et des chanteurs, ce qui, avoue-t-il, "a vraiment influencé ma réflexion sur mon métier." Cette aventure américaine durera une vingtaine d'années, avec au résultat une vingtaine de tournées au travers des USA : de grosses tournées, des grandes salles, voire des salles prestigieuses : Carnegie Hall, le Mac Cormick de Chicago, et le plus beau et le plus ancien théâtre des Etats-Unis : le Ohio Théâtre, à Colombus. Parallèlement, il continue en solo sur les campus en développant les formules work-shop (ateliers) et "artiste en résidence" dans les universités.
Et l'on arrive (en1984) à l'album Citoyen du monde, l'époque où Yvart prend sa carte d'identité de citoyen du monde, qu'il est fier de brandir à toutes les occasions. L'album, habillé d'une superbe pochette signée Michel Poix, se réfère au discours de Jean Rostand "Homo Sanguinarius" que Michel Lancelot avait fait découvrir à Yvart, lequel raconte : "J'ai habillé ce texte musicalement et dans l'album je le sers de mon mieux. Les autres chansons sont plus ou moins dans le thème, comme Progrès et capital ont trop partie liée, écrite après la catastrophe de l'Amoco Cadiz, et Magellans de l'Univers ou encore Ohé, ohé du bateau !".
Etre citoyen du monde est une idée que Jacques Yvart porte depuis longtemps, pour laquelle il milite en harmonie avec sa vie de chanteur. Et, pour lui, cet album est un virage, déjà amorcé avec Monsieur vas-tu ouvrir les yeux et les chansons de Suite à vivre au temps présent .
L'album suivant (hormis les albums "pour enfants" dont je parlerai plus loin), "Bonjour la paix !" parait en 1991 et constitue la prolongation logique de son engagement humaniste.
Celui qui paraîtra en 1998 rendra à la fois hommage en la pratiquant à la langue des citoyens du monde, l'esperanto, et à celui qui demeure le "bon maître" : Georges Brassens. Ce sera "Jacques Yvart kantas Georges Brassens" (six adaptations).
Entre temps (en 1994) un album entier sera consacré à André Devynck. Il reprend, en les réorchestrant, quelques chansons parmi les plus anciennes, nous en fait découvrir de nouvelles, tout ceci alors que le poète s'éteint discrètement.
Ce survol de l'uvre de Jacques Yvart serait incomplet si je ne citais pas son travail pour et avec les enfants. Et je me garderai bien de le présenter comme un aspect secondaire de sa création.
Il y a d'abord L'Echelle Beaufort d'après les chroniques de Lam et Noé,un livre magnifiquement illustré par Claire Forgeot, pour lequel il se voit décerner le prix "Loisirs jeunes" (et le prix de la New-York Academy of Sciences pour sa version américaine). C'est à cette occasion qu'il rencontre Martine Andersen, responsable de "Studio-SM" (Arc-en-Ciel). Elle lui propose de réaliser le disque (1985). Pour ne pas simplement aligner les treize ou quatorze chansons du conte, il réécrit l'histoire pour en faire un véritable conte musical qui sera ensuite monté en spectacle plus de deux cents fois (Printemps de Bourges, Francofolies, etc).
Suite à ce succès, Martine Andersen propose à Yvart de réaliser le disque Autour de l'océan (1987), dans la collection "Le Paradisier". Jacques Charpentraux, qui dirige cette collection, lui propose une cinquantaine de poèmes parmi lesquels, au terme de choix souvent douloureux, il retient les textes qui l'inspirent : "en fait une belle brochette de poètes : André Devynck, Claude Roy, Emmanuel Looten, Jacques Gaucheron, Verlaine, Paul Fort... Alain Gerbault, aussi."
Et puis, dans la foulée, c'est Cache cachalot (1989), toujours avec SM-Arc-en-Ciel. Un autre conte musical, à partir d'un livre pour non-voyants, un livre illustré, avec bien sûr l'écriture en braille mais aussi les dessins en relief. Les textes courts font penser un peu, pour la forme et la concision, à Béart (La raie plane / aéroplane / des mers / forme étrange / Comme un archange / de mer...). Et Le crabe, au passage, est une petite allusion anti-militariste dont l'auteur n'allait pas se priver. Yvart continue à bien aimer ce disque, réalisé avec un tout petit budget, dans un tout petit studio, avec Philippe Servain.
Mais outre ces productions, Jacques Yvart mène depuis de nombreuses années une action de fond avec les enfants, dans de nombreuses écoles, au travers d'ateliers d'écritures qui se terminent en général par la réalisation de disques, reflets et résultats du travail réalisé avec les enfants.
Jacques Yvart attache une grande importance à tout ce pan de son activité. Il m'en a souvent parlé, fait découvrir le résultat de ses ateliers. Au hasard de ses confidences : "Je pense que tant que j'aurai un souffle à donner, je travaillerai avec les enfants", "Chaque fois que j'ai eu des expériences dans ce sens-là, ça a été un enrichissement. Pour moi d'abord, très égoïstement, parce que les enfants apportent énormément et vous permettent de rester branché. De plus, on est obligé de leur dire la vérité. Tout de suite, ils voient si vous voulez les rouler dans la farine. Quand on est en contact avec eux, on se regarde dans les yeux, on vit de pureté, on doit laisser derrière soi tous les trucs du show-biz, etc", "Travailler avec des enfants, ça me branche de plus en plus et je pense que les artistes devraient se tourner davantage vers le milieu éducatif. Si on a des choses à donner, c'est un secteur prioritaire."
Jacques Yvart, citoyen du monde, ne néglige pas pour autant ses racines. Après avoir redécouvert le Flamand, avec le groupe dunkerquois "Marieke en Bart" dont il produit les premiers albums, il se remet à sa langue maternelle et participe à la création du groupe "Bootland" au sein duquel il chante et dont il produira aussi plusieurs albums. C'est, pour lui, un important travail musical et linguistique et ces disques en flamand constituent son vrai retour aux sources.
C'est aussi dans le cadre de la chaude camaraderie flamande que naissent parfois des projets inattendus. Témoin, ce Pichelour Jazz Band qui fut à l'origine d'un album en 1985, récemment enrichi de quelques titres et réédité en CD. Pour l'anecdote, il faut savoir que ce disque qui baigne dans une ambiance de fête est né d'un enterrement : celui d'une figure de la région dunkerquoise, le peintre Nees Van Steeland, dit Nénesse, grand amateur de jazz et de Brassens. Yvart raconte :"Le jour de son enterrement, étaient descendus les copains de Hollande, qui sont à la fois peintres et musiciens. Et, entre le 25ème et le 32ème genièvre - c'était vraiment un bel enterrement ! - j'ai dit, en levant le médius, dans le bistrot que Nénesse fréquentait : "Nénesse, je vais écrire TA chanson, et on fera un 45 t pour mettre dans TON juke-box". On a donc enregistré ce 45 t avec le Pichelour Jazz Band, et puis, dans la foulée, puisqu'on avait beaucoup de plaisir à faire de la musique ensemble, un 33 t. J'ai écrit ces chansons un peu folles que sont Le blues du Leughenaer, Le rock du Mont des Cats, et j'y ai rajouté La Marine de Paul Fort et Brassens, en version jazz. J'aime beaucoup La Marine comme ça, à quatre temps : ça surprend un peu les puristes, mais je pense que le "bon maître" ne l'aurait pas reniée !."
Quant à la signification du mot pichelour, il faut savoir que c'est du patois dunkerquois, dérivé du flamand. Le "pichelour", dixit Jacques, "c'est à la fois du café "passé dessus" comme on dit (on a toujours la cafetière sur le coin de la cuisinière), et c'est aussi le zizi !".
Il faudrait dire encore que Jacques Yvart c'est aussi Les Lubricks, que c'est - plus sérieusement - l'un des rares compositeurs à avoir été enregistré par Brassens (Jehan l'advenu : texte de Norge, musique de Jacques Yvart). Brassens appréciait Yvart, l'avait invité à deux reprises pour ses premières parties de Bobino ("deux fois quatre semaines de bonheur total"). De grands souvenirs, mais "lorsqu'est paru ce disque posthume où j'ai la chance de figurer avec Jehan l'advenu, expliquer exactement ce que ça m'a fait, c'est difficile. Que Brassens chante une de mes chansons !... j'en suis encore abasourdi."
Il faudrait dire aussi ce qu'ont été les nombreuses collaborations de Jacques Yvart, souvent en mélodiste recherché (je citerai, en particulier sa contribution au magnifique album des inédits de Fanon, que nous devons à Calise), parfois en interprète (dans Paris-Poluli de Francis Lemarque, par exemple).
Notons enfin que l'engagement de Jacques Yvart se traduit aujourd'hui dans le monde de la chanson, par la présidence qu'il assume depuis 2000 au Centre de la Chanson.
Joseph MOALIC
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