textes et chansons interprétés par Daniel Bougnoux (voix)
Liselotte Hamm (chant)
Jean-Marie Hummel (chant, piano, accordéon)
Daniel Dupret (batterie) musiques de Léo Ferré
Joseph Kosma
Lino Leonardi
Colette Magny
Yani Spanos
L. Hamm
J.-M. Hummel
Un grand moment lyrique...
N'écoute que ma voix les chansons
mentent le désespoir cache sous son grand
mouchoir lyrique
la véritable horreur du monde d'où l'on ne sort
par la sagesse
N'écoute que ma voix [...]
Ce disque est né du projet de faire entendre, et un peu mieux comprendre, la ou les voix d'Aragon. C'était en 1996, au sortir d'une soutenance de thèse; Liselotte Hamm et Jean-Marie Hummel étaient venus d'Alsace pour fêter leur amie Renate en improvisant dans les salons de la Maison des Ecrivains un petit cabaret de chansons tirées d'Aragon, mêlées à d'autres sources puisées sur les deux bords du Rhin. Leur répertoire n'était pas ordinaire, et j'ai entendu ce soir-là pour la première fois «Richard II quarante», le si beau poème du Crève-cur dont j'ignorais la mise en musique par Colette Magny... Entre deux verres, ou deux valses-javas car Jean-Marie avait sorti l'accordéon et le salon s'était aussitôt changé en piste de danse, nous avons décidé de réunir nos préférences, et de nous lancer nous aussi de vive voix dans Aragon. Philippe Caubère venait de reprendre son récital en deux parties au Café de la Danse, j'avais été très impressionné par la façon dont le public écoutait, et fêtait, les textes du Communiste et du Fou, toutes générations confondues. Et sans doute que les jeunes gens nombreux dans l'assistance peinaient à déchiffrer les allusions ou les circonstances très précisément inscrites dans ces textes de lutte et de témoignage; en rencontrant Caubère après le spectacle, lui-même m'avait demandé plusieurs explications sur des passages qu'il disait sans exactement les comprendre. Il n'importe, la performance était irrésistible et le risque pris par Caubère des plus contagieux. Nous nous sommes rapidement mis d'accord sur une quinzaine de textes et de chansons, et notre «première», passablement improvisée, eut lieu à Grenoble au début de mai 1997, pour fêter les cent ans du poète et la sortie du premier tome de la Pléiade.
N'écoute que ma voix--mais quelle est au vrai la voix d'Aragon dans ses romans et ses chansons qui compliquent à plaisir la voix ou la personne humaines? Lui-même semble transi d'ailleurs par ses poèmes, chanteur par ses voix traversé. Il répètera dans Les incipit de 1969 qu'on écrit pour fixer des secrets. Et qu'il n'a pas l'intention de retourner toutes les cartes du jeu. Fixer n'est pas dire; et les secrets ici fixés ne sont pas que de l'individu, même si sa biographie fut des plus singulières, mais d'un siècle dont on n'a pas fini d'interroger l'histoire, par son uvre embrassée.
Musicien déconcertant, Aragon sut comme personne orchestrer les raisons d'aimer et de désespérer des hommes; et ses paroles si précises, et si capables de remuer nos propres secrets, s'arrêtèrent au bord d'un silence qui donne également à penser. Dans Le Fou d'Elsa (1963), le Medjnoûn est tombé aux mains des bourreaux; eux aussi ont besoin de se rassurer aux poèmes, et ils le pressent de chanter:
Le chant ne s'accommode pas qu'on mente
Le chant disait-il n'est commandement
Eux disaient Chante on te dit chante
Ils l'ont tant frappé qu'il chanta
[...]
Pauvres de vous pauvres bourreaux
Ah fermez fermez-moi la bouche
De crainte d'en apprendre trop
Mais eux n'entendaient que les rimes
Et disaient Chante chante encore
C'était le mois de mouharram
Et par la porte on pouvait voir
Sur le monde noir de son drame
Pleuvoir pleuvoir pleuvoir pleuvoir
Daniel Bougnoux